La Chalystime : conte philosophique issu des contes de moelle, en lien avec le Cycle de l'Austrel, des écrits de Yves Philippe de Francqueville… Tous droits réservés.
La Chalystime
Chris, depuis son arrivée dans la Base, jouit d’une intégration rapide. Grâce à sa grande sociabilité, il gère habilement ses espaces de liberté.
Il s’ouvre différemment à la connaissance.
La musique, voilà sa forme idéale de communication et de création.
Très vite, son tuteur l’a invité à voyager à travers toutes les ruines des civilisations d’avant la Chalystime.
Il doit s'imprégner d'une multitude d'images avant que le noir ne s'installe peut-être pour toujours dans son regard.
Dans cet univers étrange, Chris refuse cette expression qui lui fut inculquée.
Ce ne sont pas des lieux de désolation.
Il y a une mémoire dans chaque pierre, dans la moindre trace où l’homme s’est manifesté un jour.
Bien entendu, la Broth est passée en chaque endroit où la vie subsistait, afin de tout désinfecter.
C’est maintenant un espace simplement stérile.
Avant de s’enfuir du Conseil d’Éthique et d’Instruction, il n’aurait pas pu imaginer une histoire différente de l’officielle, celle qui s’annonce dans les encyclopédies sonores et visuelles de la Cité.
Voulant en savoir davantage, il a demandé à Yeph de lui raconter sa version des faits !
La voici :
Un jour, les présidents des États réunis décidèrent qu’il était temps que tous les porteurs du virus disparaissent.
En effet, même si l’anticorps découvert par le professeur Bruno s’avérait très efficace, personne ne trouvait de remède contre la maladie.
En fait, il n’était pas concevable de mettre sur le marché un médicament trop cher pour une population souvent parquée dans des sanatoriums ghettos.
Nous aurions pu dire donc que la recherche d’une solution — pour soigner ces êtres infectés — était oubliée depuis bien longtemps.
Seuls quelques humanistes espéraient toujours voir se dessiner des portes d’espoir.
Le V.U.34 mis au point par le professeur Bruno, permet à la maladie de ne pas contaminer les êtres sains masculins hors relations sexuelles, mais le fléau a déjà envahi près de 97 % de la population de la planète.
De plus, les personnes du sexe féminin, même saines du virus, restent insensibles à tout anticorps.
Le danger immédiat était la disparition définitive des ovules humains pour alimenter les centrales matricielles : si les dernières femmes fertiles venaient à être porteuses du DIAT (Destructor Imunit Aquiers Total) la situation deviendrait dramatique.
La fin de notre espèce s’annonçait proche !
Voilà ce qui se passa :
Professeur Bruno présente pour la sixième reprise son bracelet identificateur et sa carte vitale afin d’avoir cette fois l’accès au dernier sas.
Bien sûr, il est toujours séronégatif… C’est pénible d’être, plusieurs fois par jour, systématiquement analysé afin de franchir les barrages le séparant du Haut Conseil.
C’est à lui ce soir d’ouvrir la séance de l’Autorité Médicale pour rendre compte des travaux aux présidents des consortiums.
Il a une heureuse nouvelle.
— Messieurs, voilà, il me faut vous l’annoncer : notre centre de recherche vient enfin de trouver la formule du remède qui détruira définitivement le virus DIAT.
— Merveilleux, tu es merveilleux ! s’écrie Arno, se levant avec tous les autres professeurs pour applaudir.
Phil demande le silence.
— Messieurs, assoyez-vous et calmez-vous, je vous prie.
De par nos responsabilités, nous nous devons de saisir la situation ensemble, de manière plus sereine.
Phil est un des médecins élus au Haut Conseil pour dix cycles. Aussi, la gestion des propos lui revient-elle en ce lieu, ce soir, dans le cadre des travaux sur l’Autorité Médicale.
Sa fonction est en fait essentiellement limitée à une coordination de l’ensemble des membres du Haut Conseil avec les chercheurs.
Il poursuit :
—…Professeur Bruno, veuillez, s’il vous plaît, nous donner quelques explications au sujet de cette étude qui semble avoir été financée, à notre insu, par les États Réunis. Reprend-il.
— Oui ! s’exclame Frado, l’un des premiers présidents actionnaires des laboratoires pharmaceutiques.
La découverte de cet anticorps est une nouvelle annonce utopique pour nous contraindre à toujours puiser davantage dans les caisses de nos centres de production !
J’étais là, à cette époque, comme conseiller d’honneur du peuple.
Mon droit se limitait dorénavant à pouvoir donner mon point de vue sur les différents sujets développés.
Je n’avais plus part aux différents votes du Haut Conseil.
— Laissez Bruno s’exprimer !
J’ai le sentiment, je m’inquiète d’une volonté d’une partie du Haut Conseil de rejeter ces quelques bonnes nouvelles nous arrivant de l’Autorité médicale, que vous n’espériez plus… interviens-je alors.
— Oui, merci Yeph.
La douce voix de Bruno, calme et sereine, ramenait à chaque fois les plus agités au silence :
Voilà. Je puis le dire donc, à ce jour, c’est simple… nous sommes en mesure d’éradiquer le virus d’une manière efficace et définitive. C’est non seulement la sauvegarde des dernières femmes saines que j’annonce, mais nous pourrons ainsi guérir les contaminés.
Il est donc nécessaire de voter au plus vite le crédit pour fabriquer en très grand nombre celui que nous avons nommé le T.W. 34b, pour restaurer l’harmonie de notre humanité blessée.
— C’est très précieux pour nous tous ici présent d’apprendre cette nouvelle.
En effet, si les tests s’avèrent concluants, cela nous donne un espoir nouveau quant à la préservation des porteuses saines.
Cependant, avez-vous parlé de cela à d’autres, avant de venir nous l’annoncer ? demande Érik…
— Communiquer cela au peuple, avant toute certitude, pourrait créer de faux espoirs et briser définitivement l’équilibre fragile de nos États Réunis ! poursuit Phil.
— Non, bien entendu.
C’est d’abord à vous qu’il m’est imposé l’annonce de toute nouvelle découverte.
Je vous assure pourtant que nos résultats sont fiables.
Mon équipe et moi-même avons maintenant la formule définitive.
La voici…
Et Bruno tout en s’exprimant, sort un dossier électronique pour le donner à Phil.
— Encore heureux… rétorque Frado :
C’est tout de même nous qui payons pour que le centre de recherche travaille !
— Oui ! reprend Érik :
Ce soir nous n’attendions plus de pareils propos de la bouche d’un de nos savants.
Phil demanda de nouveau la parole… et la prit :
— Bien.
Merci professeur Bruno.
Je ne mets pas en question votre réussite…
— C’est celle de toute une équipe, Phil !
— Oui, la découverte de toute votre équipe.
C’est très prometteur pour l’avenir.
Nous avons désormais l’espoir d’être définitivement protégés pour les siècles à venir de tout virus exterminateur lorsque l’on voit la capacité qu’ont nos laboratoires à œuvrer dans ce sens.
Votre… T.W. 34b… est réellement précieux.
Nous allons, bien entendu, voter son élaboration en nombre suffisant afin de protéger les dernières femmes saines.
Je laisse la parole à Érik pour vous expliquer la suite.
— Absolument Phil.
Maintenant, pour aujourd’hui, le Haut Conseil a déjà considéré la question des personnes contaminées.
Nous pourrions dire que la bonne nouvelle de Bruno arrive un peu tard.
— C’est-à-dire ?
(C’est moi qui l’interroge…)
— Hum…
À ce jour, c’est quelques milliards d’individus qui croupissent en attendant la mort.
Le Haut Conseil pense que ce serait utopique de vouloir soigner tant de monde alors que nous ne pouvons proposer à tous une vie décente : comment offrir à ces pauvres hères, parqués dans des sanatoriums ghettos depuis si longtemps, une vie de liberté ?
Guéris, leur raison d’être en ces lieux infâmes serait injustifiée.
Ils seraient tous en droit de réclamer un droit de sortie.
Ils deviendraient par ce fait extrêmement dangereux pour l’équilibre de nos trop fragiles États Réunis…
— En effet… reprend Phil.
Je poursuis tes explications tout en approuvant tes dires, Érik.
Cependant je pense qu’il n’est pas nécessaire de communiquer d’autres détails.
Nous avons déjà eu quelques nuits blanches animées sur ce débat crucial.
— Comment cela ? dis-je.
Pourquoi n’avons-nous pas été informés de ces conseils nocturnes ?
Il y a non-respect de la charte des États Réunis.
C’est de l’insubordination, un vrai coup de force illégitime.
— Pas du tout !
C’est parce que cela ne concernait que les groupes financiers.
Il nous était plus qu’important de travailler en paix sans les interventions répétées de pauvres anarchistes, soi-disant élus ou représentants des conseils du peuple… crache férocement Frado, s’imposant comme porte-parole des groupes pharmaceutiques.
— Mesurez vos propos ! reprend Érik :
Laissez-moi continuer.
Oui, le but de nos réflexions était bien l’avenir de l’humanité. Alors, voici notre décision qui, dois-je le dire, ne fut pas prise avec une évidente facilité…
Nous allons procéder à la restructuration complète de notre monde.
— Je n’ose l’imaginer… rétorquais-je.
— Reste à ta place de conseiller ! me demande Phil.
— Mais qu’est-ce que tout cela veut dire ? tente Arno.
— Que l’on pourrait purement et simplement exterminer plus des neufs dixièmes de l’humanité afin de donner à ces messieurs le plaisir de jouir de leur vie saine, sans la peur d’être menacé par une révolte probable… réussissais-je à placer.
— Mais c’est horrible ! hurle maintenant une partie de l’assemblée du Conseil, debout et menaçante.
J’avais prévu cela… et la suite hélas…
Et d’un geste, Phil fit venir la Garde Instinctive qui prit position pour éviter toute émeute.
Il annonce :
— Bien, Yeph, si tu poursuis ce genre de discours négatifs, qui réveille tes partisans, j’ordonne à la Garde de te neutraliser.
Je ferai de même pour toutes celles et ceux qui seraient hostiles aux règles de l’Austrel.
Il faut donc éviter d’utiliser les mots qui ne sont pas appropriés pour notre situation.
— Comprenez bien, vous tous ici présents, que ce jour n’est pas comme les autres dans l’écriture de notre histoire… explique Érik, dans une atmosphère fortement refroidie par la présence de ces êtres armés qui agissent uniquement à l’instinct.
— Mesdames, Messieurs… reprend Phil :
C’est sans joie qu’il nous a paru raisonnable d’opter pour cette solution finale.
Nous devons suspendre l’existence odieuse de ces êtres qui n’ont plus figure humaine.
Tous sont mortels dans un espace-temps si réduit que nous ne ferons qu’abréger leurs souffrances.
C’est finalement ce que nous avons souhaité appeler la Chalystime, « cette euthanazie générale ».
— Oui, hélas, pas d’autre solution… assure Frado.
— Mais mon sérum ? tente de placer Bruno :
Mon sérum existe bien, avec son médicament approprié pour agir d’une manière humaine plutôt que d’en finir ainsi…
Ce que vous proposez n’est absolument pas dans notre éthique de chercheurs !
— Bruno… dit Phil un peu agité :
Ici, l’éthique est en lien étroit avec la raison.
Je suis médecin comme toi.
Notre charge exige une considération vis-à-vis de l’Autorité Médicale. Ce que nous annonçons n’est pas une proposition mais un vote légitimé par une assemblée représentative des peuples sain(t)s.
Si j’intervenais encore, la Garde Instinctive risquait de me neutraliser tout simplement…
Comme il me semblait bon de pouvoir raconter un jour quelques propres vérités sur cette histoire aux heureux élus, survivants de cette décision de leurs grands chefs, j’ai préféré garder alors le silence.
Ce ne fut pas la décision de tous, hélas.
— Mais, ce n’est pas honnête ! insista Bruno :
Je ne veux pas être acteur de votre massacre.
On peut éviter cela ! Il le faut, au nom de nos valeurs !
Non ! Non à l’extermination de ces hommes, de ces femmes… de ces enfants : ils sont tous innocents de ce mal qui les fragilise et que nous pouvons soigner !
Notre éthique, nos valeurs…
C’est inacceptable !
— Cela suffit…
Érik complète sa phrase d’un geste vers l’officier supérieur de la Garde Instinctive.
— Non !!! reprend Phil, mais trop tard…
L’instinct est plus rapide que la raison, et c’est ainsi que s’acheva l’existence d’un de nos plus brillants professeurs.
— L’incident est clos ! dit Érik, brisant le silence de mort qui venait de figer le Haut Conseil :
Maintenant, sachez que l’opération « Chalystime » débutera dès ce soir.
Tout est prêt afin que cela puisse se dérouler dans les meilleures conditions.
Les systèmes d’éradication ont été très étudiés pour que les victimes du fléau de ce millénaire ne souffrent pas davantage.
Que la paix soit avec vous tous qui avez, sagement et en conscience, choisi cette solution finale pour donner au monde une vie meilleure à venir.
J’ai écrit un poème pour ne pas oublier cette habitude humaine de trouver des solutions radicales afin de proposer une nouvelle société jugée plus juste lorsque la précédente semble avoir perdu sa raison d’être :
SI J’ÉCRIVAIS L’HISTOIRE
L’air du temps de ces jours semble étrange et me fuit.
Tout sature en ce monde : on construit, on élève
Un sordide univers où le fer et l’humain
S’entassent sans raison. J’imagine un demain
Les puissants de la terre… Et l’un d’entre eux se lève
Au cours du haut conseil, au secret dans la nuit.
« Silence ! Écoutez-moi ! » s'écrie-il en grand frère ;
« Refusons tout espoir, de vaines illusions,
Qui donnerait sur l’heure à qui voudrait y croire,
Un retour de son dieu dans une immense gloire.
Il serait bon qu’enfin, sans crainte, nous osions
Reconnaître la mort comme point de repère !
Il est temps mes amis de nous entre-tuer.
Détruisons les nations, donnons du sens à l’homme ;
Il nous faut des martyrs, de prodigieux héros…
Mais aussi quelques vils et pauvres numéros :
Longue liste infernale de bêtes de somme,
Enfants, femmes, vieillards… sachons sans fin tuer ! »
Alors qu’ils écoutaient — vénérable auditoire --
En un commun accord, au dernier mot lancé,
Tous ensemble debout, voici qu’on félicite
À l’unanimité l’offre sans plébiscite,
Où la guerre est pesée, où le mort est pensé…
La terre se nourrit du sang de son histoire.
La Terre se nourrit du sang de son histoire !
Tout sature en ce monde : on construit, on élève
Un sordide univers où le fer et l’humain
S’entassent sans raison. J’imagine un demain
Les puissants de la terre… Et l’un d’entre eux se lève
Au cours du haut conseil, au secret dans la nuit.
« Silence ! Écoutez-moi ! » s'écrie-il en grand frère ;
« Refusons tout espoir, de vaines illusions,
Qui donnerait sur l’heure à qui voudrait y croire,
Un retour de son dieu dans une immense gloire.
Il serait bon qu’enfin, sans crainte, nous osions
Reconnaître la mort comme point de repère !
Il est temps mes amis de nous entre-tuer.
Détruisons les nations, donnons du sens à l’homme ;
Il nous faut des martyrs, de prodigieux héros…
Mais aussi quelques vils et pauvres numéros :
Longue liste infernale de bêtes de somme,
Enfants, femmes, vieillards… sachons sans fin tuer ! »
Alors qu’ils écoutaient — vénérable auditoire --
En un commun accord, au dernier mot lancé,
Tous ensemble debout, voici qu’on félicite
À l’unanimité l’offre sans plébiscite,
Où la guerre est pesée, où le mort est pensé…
La terre se nourrit du sang de son histoire.
La Terre se nourrit du sang de son histoire !
Oui, "la terre se nourrit du sang de son histoire"…
Comme personne n’osa applaudir ce soir-là, ne sachant la réaction des Gardes Instinctifs, c’est Phil qui se trouva désigné par sa juste fonction pour conclure la dernière réunion de ce Haut Conseil :
— Soyez assurés de votre avenir à tous, si vous collaborez sagement à notre nouvel ordre mondial.
Pour tous ceux qui ont eu la grâce de rester sain(t)s, c’est un nouveau jour qui s’annonce.
Que le Plus Haut Dieu Unique et tout puissant se plaise à accueillir près de lui ceux que la raison nous contraint à lui retourner…
Et qu’Il nous donne la force et le courage, à nous, les élus, de mener à bien notre mission salvatrice.
Ce fut la Chalystime…
Et l'Offryde s'annonce !
Et l'Offryde s'annonce !
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La Chalystime : conte philosophique issu des contes de moelle, en lien avec le Cycle de l'Austrel, des écrits de Yves Philippe de Francqueville… Tous droits réservés.
Auteur : Yves Philippe de Francqueville