Création artistique de Franck PASQUALINI pour le poème L'envol, extrait du recueil Solitude étrangère ©.
Yves Philippe de Francqueville
pirate des mots et philanalyste en herbe,
présente le quatrième et dernier tome du Cycle de l'Austrel : la Mort de l'Archyeur.
Troisième partie.
Tous droits réservés ©.
Yves Philippe de Francqueville
pirate des mots et philanalyste en herbe,
présente le quatrième et dernier tome du Cycle de l'Austrel : la Mort de l'Archyeur.
Troisième partie.
Tous droits réservés ©.
Yeph :
— Ah, te voici, Tomas.
Une apparition… tous les quatre cycles ?
C'est ma chance !
Comment te sens-tu aujourd'hui ?
Emma :
— Belle matinée, Tomas…
Tu te lèves donc bien tôt ces temps-ci ?
Tomas :
— Je compte mes jours, les amis.
L'immortalité ne semble pas être dans mes gènes !
Puisque c'est ainsi, peut-être est-il plus sage de savourer les instants de vie qu'il me reste, ailleurs que sur ma couche à attendre la mort !
Yeph :
— Nous préférons assurément te rencontrer ainsi.
J'ai toujours hâte de découvrir ce que tu crées.
Emma :
— Oui, Franch — entre deux combats, tantôt du côté des rebelles des Bases, parfois avec les forces de l'Archyeur — passe nous informer des progrès relatifs des protagonistes… et se plaît à nous informer sur toi, sans que nous puissions hélas te voir !
Tomas :
— Ah, ce cher Franch !
Il est bien égal à lui-même.
Il sense[i] sa vie par le plaisir de la discorde… passionné des ondes de choc !
Yeph :
— Oui et non.
Il y a du charme aussi dans ses actes !
Franch ne supporte pas la médiocrité et le compromis. Il joue des fausses ententes bâties sur la peur de l'autre… un respect armé, comme ces armistices qui ne sont à ses yeux que des paix relatives, des paix menties. C’est le temps donné pour recharger les armes… trouver du renfort, rassembler des forces nouvelles !
Sa quête s’oriente vers l'absolu : que l'humain apprenne à aimer sans tricher.
Il rejette la morale et les lois qui intéressent les puissants du moment pour asservir le peuple crédule, et s'enrichir.
Tomas :
— Au prix de combien de morts ?
Yeph :
— Les morts se suivent toujours — de guerres en paix puis en guerres — pour construire des nations sur le sang et les larmes des hommes.
Franch refuse d'être pris pour un mouton — au milieu d'un troupeau — conduit à l'abattoir.
Emma :
— Il ne veut cependant pas comprendre que très peu d'humains souhaitent la liberté.
Tant que le pâtre mène ses braves bêtes au pâturage, il y a de l'amour donné comme de l'attention, pour toutes ses chères brebis !
Yeph :
— Et le jour de gloire pour le berger demande nécessairement des sacrifices !
Tomas :
— C'est un peu réducteur, vous ne trouvez pas ?
Je pense que Franch aspire à la paix par la dénonciation de la guerre.
Il s'efforce de montrer l'absurde des combats pour que ces guerriers sanguinaires conçoivent que dans un camp ou dans l'autre, l'idéal est sensiblement le même !
Il cherche chez ces moutons un potentiel de pluripossibilité à développer.
Franch désire sincèrement l'évolution de l'humain au sein du monde.
Emma :
— Tu as raison, Tomas.
Nous sommes bien entendu tous attentifs aux méthodes de Franch.
Cependant, sache que la violence n'assure jamais la paix.
Prendre les armes est dans les gènes de certains pour parfaire une mission.
C'est complexe à vivre, car la plénitude humaine ne peut se réaliser tant que nous sommes dans cette voie où la lutte est encore un combat.
Oui, cher Tomas, combattre est déjà une défaite[ii]. C'est pour cela que Franch n'est dans aucun camp. Il sait le danger de penser que la vérité réside dans l'un ou l'autre programme offert aux peuples avides de se donner des chefs à suivre, ou quelques dieux à craindre…
Tomas :
— Vous êtes donc d'accord avec la démarche de Franch !
Yeph :
— Oui et non…
Moi aussi j'ai pris les armes dans mon passé où, jeune officier, l'amour de la patrie m'appelait à guerroyer !
J'aspirais à être le sauveur d'une République pour laquelle je n'avais déjà que très peu de considération.
Je vivais ainsi dans une contradiction totale avec moi-même…
Emma :
— Cependant, tu es parti au combat !
Tomas :
— Comme Franch…
Yeph :
— Non…
Pas comme lui.
J'y croyais sincèrement à cette ruée des races[iii], me donner au cœur de la bataille, en vue d'un monde idéal.
Je voulais coûte que coûte voir l'homme évoluer au prix du combat, me risquant à être inscrit sur la très longue liste des héros dont la patrie se dit reconnaissante !
Franch est dans une démarche plus subtile. Il sait que dans une guerre, l'on pense mourir pour la nation alors que nous tombons sous le feu des rayons pour enrichir les fabricants d'armes et les industriels du bâtiment[iv] !
Moi — très jeune — formaté par une éducation composée avec art pour éveiller mon idéal de chevalier, j'avais combattu sans me poser suffisamment de questions.
Tomas :
— Toutes ces années où je n'étais pas encore du monde de la Cité, tu étais soldat, alors ?
Emma :
— Yeph a eu plusieurs vies…
Il te faudrait des siècles pour ne serait-ce qu'entrapercevoir son histoire.
Tomas :
— La sagesse s'acquiert au prix de combien d'erreurs ?
Yeph :
— Les erreurs sont le lot des vivants.
Une école du terrain par l'exemple et la pratique !
Il faut surtout éviter les maladresses comme les oppositions brutales, voire définitives qui sont stériles.
Ceux qui ne font rien ne sont pas dans l'erreur…
Emma :
— Peut-être que leur vie en est une, alors[v] ?
Tomas :
— Un peu violent, ce propos, chère Emma ?
Tu m'habitues généralement à davantage de douceur, avec l'art de tout charmifier…
Emma :
— Non.
Ne me juge pas mièvre…
L'onde de choc ne m'est pas étrangère !
Nous sommes trop entourés de moutons attentistes aux faits et gestes de personnes vivantes.
Ils récoltent sans semer, ils profitent sans fournir la moindre attention ou reconnaissance aux créateurs.
Ils jouissent de nos travaux, de nos découvertes… et savent critiquer nos échecs, ou ils nous reprochent les manques liés aux aléas de la nature !
Ils ne progressent pas…
Fades, sans goût… ce sont des sousvivants, de pâles copies stériles, que j'abhorre !
J'aime les vivants…
Je vomis les tièdes[vi].
Yeph :
— Oui.
J'ai pris aussi les armes pour cette vaine guerre…
C'était hier…
Mon horreur pour les parasites et les médiocres profiteurs était redoutable.
Tomas :
— Et maintenant ?
Pensez-vous être les fruits généreux d’investissements collectifs de la société ?
Yeph :
— J'ai davantage conscience de la nature du monde.
L'important, c'est de poursuivre notre quête vers le meilleur de nous-mêmes.
Par mimétisme, nous pouvons espérer un jour voir le minable au fort potentiel évoluer à sa mesure.
Emma :
— Le principe de l'âne qui n'a pas soif…
Lui donner le goût par la présence d'ânes qui ont terriblement soif et qui boivent avec plaisir.
Tomas :
— Préférer la carotte au bâton ?
Yeph :
— Pas tout à fait.
C'est plutôt favoriser l'action qui sera perçue en leçon de vie, en exemple, pour inviter l'autre à se lever à son tour, lorsqu'il sera prêt.
Le potentiel de pluripossibilité passe par la compréhension du principe de l'intérêt. Il est nécessaire que l'individu saisisse son état de saprophyte et qu'il développe ses capacités propres à donner comme à recevoir… Alors, il peut évoluer jusqu'au moment crucial où l'amour devient le sens premier de sa réalité humaine.
Emma :
— En effet, chez les plantes et les animaux, le saprophyte est une évolution du parasite… il dévoile les dons enrichissants pour les deux protagonistes. Le donnant-donnant est une belle école où la recherche de l’intérêt permet à tous de progresser.
Yeph :
— Cependant la nature reste un champ de bataille terriblement cruel. Nous en sommes de la partie, tantôt prédateur, tantôt proie… tant que nous sommes mûs par l’instinct de survie.
Pour étendre ses racines, pour s’élever vers le soleil, une plante a de nombreuses techniques afin de régner sans autre recherche que l’élimination du gênant… Le sapin aux épines acides fut élu roi des forêts au prix de combien de génocides ?
Pour protéger ses petits, son clan… pour asseoir son territoire de chasse, l’animal sait aussi être un tueur redoutable… Le lion est roi pour beaucoup d’animaux qui le craignent…
L’homme animal reste si proche de la nature…
S’il s’élève, il peut trouver d’autres portes que la mort à donner…
Quel sens proposer à sa vie… pour vouloir vraiment sortir de la survie ?
Peut-être le plaisir ?
Certainement l'amour !
[i] Merci encore à Vincent CESPEDES pour ce verbe fort utile qui nous aide à « senser » un fait, une histoire, un propos. Merci aussi à son « Jeu du Phénix », un tarot philosophique très utile pour s’interroger sur les ondes de charme et les ondes de choc qui façonnent notre existence.
[ii] Merci au maître de karaté pour cette réflexion sensible, nous rappelant que les arts martiaux sont travaillés et vécus pour ne pas êtres utilisés.
[iii] Merci au capitaine Robert PITTAUD de FORGES, pour sa lettre écrite à son épouse, la veille de son départ, le 4 août 1914 :
« Je pars le cœur haut, en chrétien demandant à Dieu de me donner la force et l'intelligence pour accomplir, je ne dis pas mon devoir, mais le sacerdoce de notre métier sublime quand nous nous trouvons dans cette ruée des races pour la défense de notre patrie sacrée.
Ce n'est pas sans un serrement de cœur affreux que je laisse ma femme et mes petits mais c'est le moment de songer à la grandeur de notre rôle et de notre métier.
Faites de mes filles des femmes fortes, instruites, chrétiennes, capables de se diriger seules dans la vie.
Mon dernier souvenir sera pour ma mère bien aimée, pour ma femme adorée et pour mes enfants chéris. ».
Robert de FORGES, le 4 août 1914.
Officier de la Légion d'Honneur, Croix de Guerre avec palmes et citation, bien entendu à titre posthume !
Il fut tué à l'ennemi dans les combats du 21 au 22 août 1914, au cours de « La Grande Guerre » dix-sept jours plus tard… Sa veuve n’a appris le décès qu’en octobre 1916… Jusqu’alors, il était « porté disparu », donc pas de pension.
Tout son régiment fut décimé. Tous ces héros sont enterrés à côté de Ypres…
Oui, « Moi, mon colon, celle que j’préfère c’est la guerre de quatorze-dix-huit » chantait Georges BRASSENS !
[iv] Merci à Anatole FRANCE, pour cette citation. Il est l'écrivain du XXème siècle dont l'œuvre est peut-être la plus pillée par les écrivailleurs en manque d'idée et de talent…
[v] Merci à Antoine Louis CORNETTE, figure du scoutisme français, qui osa dire que « celui qui ne fait rien ne commet pas d’erreur, mais peut-être que sa vie en est une ».
[vi] Merci à l'apôtre Jean et à son Apocalypse… Elle est remarquable d’amour, cette phrase : « Dieu vomit les tièdes » !
— Ah, te voici, Tomas.
Une apparition… tous les quatre cycles ?
C'est ma chance !
Comment te sens-tu aujourd'hui ?
Emma :
— Belle matinée, Tomas…
Tu te lèves donc bien tôt ces temps-ci ?
Tomas :
— Je compte mes jours, les amis.
L'immortalité ne semble pas être dans mes gènes !
Puisque c'est ainsi, peut-être est-il plus sage de savourer les instants de vie qu'il me reste, ailleurs que sur ma couche à attendre la mort !
Yeph :
— Nous préférons assurément te rencontrer ainsi.
J'ai toujours hâte de découvrir ce que tu crées.
Emma :
— Oui, Franch — entre deux combats, tantôt du côté des rebelles des Bases, parfois avec les forces de l'Archyeur — passe nous informer des progrès relatifs des protagonistes… et se plaît à nous informer sur toi, sans que nous puissions hélas te voir !
Tomas :
— Ah, ce cher Franch !
Il est bien égal à lui-même.
Il sense[i] sa vie par le plaisir de la discorde… passionné des ondes de choc !
Yeph :
— Oui et non.
Il y a du charme aussi dans ses actes !
Franch ne supporte pas la médiocrité et le compromis. Il joue des fausses ententes bâties sur la peur de l'autre… un respect armé, comme ces armistices qui ne sont à ses yeux que des paix relatives, des paix menties. C’est le temps donné pour recharger les armes… trouver du renfort, rassembler des forces nouvelles !
Sa quête s’oriente vers l'absolu : que l'humain apprenne à aimer sans tricher.
Il rejette la morale et les lois qui intéressent les puissants du moment pour asservir le peuple crédule, et s'enrichir.
Tomas :
— Au prix de combien de morts ?
Yeph :
— Les morts se suivent toujours — de guerres en paix puis en guerres — pour construire des nations sur le sang et les larmes des hommes.
Franch refuse d'être pris pour un mouton — au milieu d'un troupeau — conduit à l'abattoir.
Emma :
— Il ne veut cependant pas comprendre que très peu d'humains souhaitent la liberté.
Tant que le pâtre mène ses braves bêtes au pâturage, il y a de l'amour donné comme de l'attention, pour toutes ses chères brebis !
Yeph :
— Et le jour de gloire pour le berger demande nécessairement des sacrifices !
Tomas :
— C'est un peu réducteur, vous ne trouvez pas ?
Je pense que Franch aspire à la paix par la dénonciation de la guerre.
Il s'efforce de montrer l'absurde des combats pour que ces guerriers sanguinaires conçoivent que dans un camp ou dans l'autre, l'idéal est sensiblement le même !
Il cherche chez ces moutons un potentiel de pluripossibilité à développer.
Franch désire sincèrement l'évolution de l'humain au sein du monde.
Emma :
— Tu as raison, Tomas.
Nous sommes bien entendu tous attentifs aux méthodes de Franch.
Cependant, sache que la violence n'assure jamais la paix.
Prendre les armes est dans les gènes de certains pour parfaire une mission.
C'est complexe à vivre, car la plénitude humaine ne peut se réaliser tant que nous sommes dans cette voie où la lutte est encore un combat.
Oui, cher Tomas, combattre est déjà une défaite[ii]. C'est pour cela que Franch n'est dans aucun camp. Il sait le danger de penser que la vérité réside dans l'un ou l'autre programme offert aux peuples avides de se donner des chefs à suivre, ou quelques dieux à craindre…
Tomas :
— Vous êtes donc d'accord avec la démarche de Franch !
Yeph :
— Oui et non…
Moi aussi j'ai pris les armes dans mon passé où, jeune officier, l'amour de la patrie m'appelait à guerroyer !
J'aspirais à être le sauveur d'une République pour laquelle je n'avais déjà que très peu de considération.
Je vivais ainsi dans une contradiction totale avec moi-même…
Emma :
— Cependant, tu es parti au combat !
Tomas :
— Comme Franch…
Yeph :
— Non…
Pas comme lui.
J'y croyais sincèrement à cette ruée des races[iii], me donner au cœur de la bataille, en vue d'un monde idéal.
Je voulais coûte que coûte voir l'homme évoluer au prix du combat, me risquant à être inscrit sur la très longue liste des héros dont la patrie se dit reconnaissante !
Franch est dans une démarche plus subtile. Il sait que dans une guerre, l'on pense mourir pour la nation alors que nous tombons sous le feu des rayons pour enrichir les fabricants d'armes et les industriels du bâtiment[iv] !
Moi — très jeune — formaté par une éducation composée avec art pour éveiller mon idéal de chevalier, j'avais combattu sans me poser suffisamment de questions.
Tomas :
— Toutes ces années où je n'étais pas encore du monde de la Cité, tu étais soldat, alors ?
Emma :
— Yeph a eu plusieurs vies…
Il te faudrait des siècles pour ne serait-ce qu'entrapercevoir son histoire.
Tomas :
— La sagesse s'acquiert au prix de combien d'erreurs ?
Yeph :
— Les erreurs sont le lot des vivants.
Une école du terrain par l'exemple et la pratique !
Il faut surtout éviter les maladresses comme les oppositions brutales, voire définitives qui sont stériles.
Ceux qui ne font rien ne sont pas dans l'erreur…
Emma :
— Peut-être que leur vie en est une, alors[v] ?
Tomas :
— Un peu violent, ce propos, chère Emma ?
Tu m'habitues généralement à davantage de douceur, avec l'art de tout charmifier…
Emma :
— Non.
Ne me juge pas mièvre…
L'onde de choc ne m'est pas étrangère !
Nous sommes trop entourés de moutons attentistes aux faits et gestes de personnes vivantes.
Ils récoltent sans semer, ils profitent sans fournir la moindre attention ou reconnaissance aux créateurs.
Ils jouissent de nos travaux, de nos découvertes… et savent critiquer nos échecs, ou ils nous reprochent les manques liés aux aléas de la nature !
Ils ne progressent pas…
Fades, sans goût… ce sont des sousvivants, de pâles copies stériles, que j'abhorre !
J'aime les vivants…
Je vomis les tièdes[vi].
Yeph :
— Oui.
J'ai pris aussi les armes pour cette vaine guerre…
C'était hier…
Mon horreur pour les parasites et les médiocres profiteurs était redoutable.
Tomas :
— Et maintenant ?
Pensez-vous être les fruits généreux d’investissements collectifs de la société ?
Yeph :
— J'ai davantage conscience de la nature du monde.
L'important, c'est de poursuivre notre quête vers le meilleur de nous-mêmes.
Par mimétisme, nous pouvons espérer un jour voir le minable au fort potentiel évoluer à sa mesure.
Emma :
— Le principe de l'âne qui n'a pas soif…
Lui donner le goût par la présence d'ânes qui ont terriblement soif et qui boivent avec plaisir.
Tomas :
— Préférer la carotte au bâton ?
Yeph :
— Pas tout à fait.
C'est plutôt favoriser l'action qui sera perçue en leçon de vie, en exemple, pour inviter l'autre à se lever à son tour, lorsqu'il sera prêt.
Le potentiel de pluripossibilité passe par la compréhension du principe de l'intérêt. Il est nécessaire que l'individu saisisse son état de saprophyte et qu'il développe ses capacités propres à donner comme à recevoir… Alors, il peut évoluer jusqu'au moment crucial où l'amour devient le sens premier de sa réalité humaine.
Emma :
— En effet, chez les plantes et les animaux, le saprophyte est une évolution du parasite… il dévoile les dons enrichissants pour les deux protagonistes. Le donnant-donnant est une belle école où la recherche de l’intérêt permet à tous de progresser.
Yeph :
— Cependant la nature reste un champ de bataille terriblement cruel. Nous en sommes de la partie, tantôt prédateur, tantôt proie… tant que nous sommes mûs par l’instinct de survie.
Pour étendre ses racines, pour s’élever vers le soleil, une plante a de nombreuses techniques afin de régner sans autre recherche que l’élimination du gênant… Le sapin aux épines acides fut élu roi des forêts au prix de combien de génocides ?
Pour protéger ses petits, son clan… pour asseoir son territoire de chasse, l’animal sait aussi être un tueur redoutable… Le lion est roi pour beaucoup d’animaux qui le craignent…
L’homme animal reste si proche de la nature…
S’il s’élève, il peut trouver d’autres portes que la mort à donner…
Quel sens proposer à sa vie… pour vouloir vraiment sortir de la survie ?
Peut-être le plaisir ?
Certainement l'amour !
[i] Merci encore à Vincent CESPEDES pour ce verbe fort utile qui nous aide à « senser » un fait, une histoire, un propos. Merci aussi à son « Jeu du Phénix », un tarot philosophique très utile pour s’interroger sur les ondes de charme et les ondes de choc qui façonnent notre existence.
[ii] Merci au maître de karaté pour cette réflexion sensible, nous rappelant que les arts martiaux sont travaillés et vécus pour ne pas êtres utilisés.
[iii] Merci au capitaine Robert PITTAUD de FORGES, pour sa lettre écrite à son épouse, la veille de son départ, le 4 août 1914 :
« Je pars le cœur haut, en chrétien demandant à Dieu de me donner la force et l'intelligence pour accomplir, je ne dis pas mon devoir, mais le sacerdoce de notre métier sublime quand nous nous trouvons dans cette ruée des races pour la défense de notre patrie sacrée.
Ce n'est pas sans un serrement de cœur affreux que je laisse ma femme et mes petits mais c'est le moment de songer à la grandeur de notre rôle et de notre métier.
Faites de mes filles des femmes fortes, instruites, chrétiennes, capables de se diriger seules dans la vie.
Mon dernier souvenir sera pour ma mère bien aimée, pour ma femme adorée et pour mes enfants chéris. ».
Robert de FORGES, le 4 août 1914.
Officier de la Légion d'Honneur, Croix de Guerre avec palmes et citation, bien entendu à titre posthume !
Il fut tué à l'ennemi dans les combats du 21 au 22 août 1914, au cours de « La Grande Guerre » dix-sept jours plus tard… Sa veuve n’a appris le décès qu’en octobre 1916… Jusqu’alors, il était « porté disparu », donc pas de pension.
Tout son régiment fut décimé. Tous ces héros sont enterrés à côté de Ypres…
Oui, « Moi, mon colon, celle que j’préfère c’est la guerre de quatorze-dix-huit » chantait Georges BRASSENS !
[iv] Merci à Anatole FRANCE, pour cette citation. Il est l'écrivain du XXème siècle dont l'œuvre est peut-être la plus pillée par les écrivailleurs en manque d'idée et de talent…
[v] Merci à Antoine Louis CORNETTE, figure du scoutisme français, qui osa dire que « celui qui ne fait rien ne commet pas d’erreur, mais peut-être que sa vie en est une ».
[vi] Merci à l'apôtre Jean et à son Apocalypse… Elle est remarquable d’amour, cette phrase : « Dieu vomit les tièdes » !
[Arrivée de Franch, en tenue de combat.]
Emma :
— Beaucoup d'armes pour un seul homme, Franch !
Franch :
— Exclusivement des armes de défense… de dissuasion…
Yeph :
— Combien de millénaires nous faudra-t-il encore attendre pour que nous n'ayons plus besoin d'être armés pour être libres[i] ?
Emma :
— Oh, Yeph… tu seras peut-être toujours dans la jouissance du bel objet !
Une arme a un côté fascinant dans l’esprit du mâle…
Franch :
— Pas faux, Emma !
Tomas :
— Alors, où en es-tu cher Franch, dans tes guerres picrocholines[ii] ?
Franch :
— Les quelles te passionnent le plus ?
Celles contre moi-même m'épuisent, m'occupent, me divisent, et finiront par m'achever… sans que je puisse espérer la moindre victoire !
Pour les jeux inter Bases avec la Cité, c'est une aventure qui se couronne par un triomphe.
Une page nouvelle s'écrit !
Tomas :
— Tu as donc réussi ?
L'Archyeur a proposé un nouvel armistice ?
Yeph :
— Ah, ah…
Emma :
— Pour combien de cycles ?
Le temps de reconstruire quelques ruches et d'inventer de nouvelles armes ?
Franch :
— Il y a du vrai dans vos propos…
Cependant — et Yeph le sait bien — je n'aurais pas utilisé tant d'énergie et mon talent, pour un banal traité de paix armée !
Ce qui se construit est plus joli.
Cela me semble davantage efficace… et utile pour mon plaisir !
Emma :
— Nous sommes attentifs…
Franch :
— C'est la Concorde qui vient d'être signée entre Sako et Érik.
Je suis l'acteur témoin — le catalyseur — de cette alliance.
Notre super Sako vient par cette occasion de gagner le joli titre de chef de la Concorde.
Yeph :
— Raconte-leur tes conditions ?
Franch :
— Au prix de garanties précises, sinon je relance la zizanie !
J'ai les moyens de tous nous exterminer… en faisant sauter la planète !
C'est moi donc qui ai présenté les actes à parapher avec leurs clauses précises : la liberté totale des primaires et la considération de leur statut spécifique dans les Bases… la possibilité à chaque fin de cycle de prendre en compte des individus hors normalités — en formation au CEI — se présentant comme inadaptés à une greffe seconde au sein de la Cité… et les laisser s'acclimater dans une Base… plutôt que de vouloir par la force ou la ruse, les lobotomiser !
Ils ont dû accepter enfin sans compromis le fait qu'au-delà de la Cité où l'Archyeur règne, et des Bases où il est respecté… tout espace de vie soit en-dehors de leurs champs d'investigation ou de regard.
En contrepartie, sous la surveillance et la bienveillance de Sako :
— Les rebelles sont impérativement invisibles au sein de la Cité, sous peine d'être kryfluxirés à vue et sans sommation par la garde instinctive[iii].
— Les rebelles ne doivent pas être prosélytes avec des primaires sur les Bases, où ils apprendront à être discrets.
Les rebelles éviteront ainsi tout soulèvement du peuple de la Cité contre l'Austrel, et la concorde avec les Bases sera assurée… tant que les règles posées par les rebelles sont respectées.
Les Bases sont donc autonomes et peuvent s'étendre si besoin, sur les Terres Impropres.
La Cité s'autorégule sur le principe malthusien réformé des naissances et des morts, en équilibre avec les lois économiques : la plupart des greffés — 99,7%[iv] de la population — sont alors heureux de vivre et de mourir sans trop de soucis, sans se poser de questions à problèmes…
Ils travaillent pour le bien quotidien des habitudes, et aspirent à la joie ultime qui leur est proposée.
Ils sont formatés pour exister au service d'un système régi par des consortiums et se suffisent du pain et des jeux qui leur sont donnés, contre une sécurité et un certain confort.
C'est pour tous, le meilleur des mondes possibles.
Sur les Bases, les 0,3% de marginaux vont naturellement vivoter avec des conflits, des trêves, des étapes constructrices et d'autres plus instables…
Ils se reproduiront naturellement pour donner des êtres multiples…
Certains préféreront l'équilibre de la Cité. Ils seront accueillis aussitôt avec bienveillance pour la greffe seconde.
D'autres, ouverts à des questions existentielles… oseront parfois le conflit que Sako et ses sbires sauront canaliser, voire réprimer au nom de la Concorde.
Et au sein de tout cela, nous — désignés comme rebelles, les IHN, ces 0,03% — nous pourrons vivre notre pluripossibilité sans souci… en tous lieux : des Zones Autonomes… Temporaires.
Des abeilles hors de toute ruche, libres de butiner de fleur en fleur pour embellir le monde de nos rencontres, de nos découvertes !
Emma :
— Érik a compris quoi… pour céder ainsi ?
Tomas :
— Il voulait pourtant greffer tous les humains de la planète ?
Franch :
— J'ai fait prendre conscience à Érik que par la force, il ne serait jamais gagnant…
Les 0,3% ne sont pas "encore" gérables par son service médical, mais en tant qu’Archyeur, il est sûr de sa quête.
Il a la vérité, et le peuple l'a élu pour régner sur la totalité de son petit univers.
Ce serait ridicule de vouloir lui proposer d'autres alternatives possibles au bonheur humain.
Sa sincérité se dévoile par le fait qu'il a lui-même été greffé, pour montrer l'exemple à ses sujets.
Il en subit d'ailleurs les effets secondaires avec une certaine dignité !
Le problème des 0,3% de non-aristotéliciens est récurrent. Il n'avait pas de solution malgré son équipe d'experts en tous genres…
Pour les 0,03% d'IHN avérés, le chiffre est tellement insignifiant que nous n'existons même pas…
Alors, j'ai simplement exprimé ce qu'il pouvait, ce qu'il voulait entendre : que les rebelles à la greffe évolueront certainement un jour, pour découvrir que son idée est la meilleure… lorsque l'instabilité des Bases sera jugée moins agréable à vivre que la merveilleuse harmonie de sa Cité, où tous les hommes sont heureux, grâce à la greffe cellulaire.
Ah, j'ai été à la bonne école de Yeph…
Voilà… j'ai fait évoluer le principe…
Oui !
La perfection de la Cité est l'outil idéal pour l'Archyeur et pour nous…
Je lui ai fait comprendre que bien mieux que la violence, l'exemple donne envie au solitaire de rejoindre le troupeau.
Erik a pris conscience que le loup sauvage et maigre sera séduit naturellement par la sagesse du chien apprivoisé et bien portant[v].
C'est sa publicité la plus persuasive pour espérer voir un jour le peuple des Bases se rallier à son autorité… et reconnaître la greffe seconde comme la solution au bonheur.
Pendant ce temps-là, nous pouvons vivre sans souci : à nous promener en discrétion dans la Cité, à profiter des rencontres constructives avec les primaires sur les Bases, et à jouir de la liberté dans nos Zones Autonomes !
Tomas :
— Wahoo…
Excellente variante du principe de l'âne qui n'a pas soif : persuader l'âne qui boit, que l'autre finira aussi par boire un jour…
Parce que tout n'est pas bon pour tous…
Pour que l’exception vive, l'uniformité doit l’oublier.
Yeph :
— Ah, ah, ah !
C'est génial.
Tu es vraiment un gars génial, mon cher Franch !
Franch :
— Oui, oui, cher Yeph…
C'est bien vrai.
Érik a maintenant en tête l'idée splendide d'être un exemple, afin que nous puissions tous évoluer vers le "bien unique".
Emma :
— Et tu as osé instituer Sako son messager, le garant de la Concorde !
Tomas :
— Formidable réalisation, Franch !
Le pire des tyrans potentiels est ainsi surveillé de près.
Je suis vraiment fier de toi !
Franch :
— Je trouve aussi…
Je suis plutôt fier de moi-même, en effet !
Érik — fonctionnant de manière monolithique — a compris que l'usage de la force est une pratique vaine, car la révolte gronde toujours au final, si le peuple a faim…
Yeph :
— Habile tactique, surtout lorsque nous connaissons le "promu émissaire"… ce chef de la Concorde… notre super Sako !
Il est le sujet idéal de sa majesté l'Archyeur…
Emma :
— Absolument.
Sako est un formidable suiveur, dès qu'une vérité est posée. Il sera parfait dans son rôle de sauveur.
La paix est assurée certainement pour un grand nombre de cycles…
Franch :
— Oui, je sais que tout est temporaire… une faille dans le système : si les jeux ou le pain viennent à manquer… ou un ennemi venu d'ailleurs ou interne, inconnu… qui se développe, et le fragile équilibre sera rompu…
Mais remettons cela à un temps suffisamment lointain !
Profitons…
Savourons !
Donnons-nous le plaisir de quelques jaillissements créatifs au sein de Zones Autonomes, en tous lieux… prenant bien conscience qu'elles seront éternellement temporaires !
Nous sommes mortels… alors que l'instant est d'éternité…
Tomas :
— Explique, s'il-te-plaît ?
Franch :
— J'ai pris conscience que la liberté n'est pas naturelle et surtout qu'elle n'existe pas dans la continuité.
L'homme a été formaté pour se persuader qu’il est un animal politique qui ne sait pas vivre seul.
Hélas, il ne sait pas non plus rencontrer l’autre…
Dès qu'il est en groupe, il cède très rapidement à la tentation de la facilité. Il perd le sensé de la création, l'audace de la nouveauté puis progressivement le désir… pour devenir prisonnier docile de l'habitude.
Comme pour le dodo, il en perd la faculté de voler[vi] !
Oui, l'homme repu, confie alors à plus fort — plus persuasif — une partie de sa capacité à décider, par lâcheté, peur ou aquoibonisme…
Très peu d'individus sont capables, ou même… souhaitent vivre leur hors normalités, sachant que l'absurde de leur existence ne mérite pas nécessairement la volonté à fournir.
Emma :
— Et tu penses que ce projet est viable, Franch ?
Yeph :
— Il l'est, oui chère Emma…
Franch a raison : son idée me semble excellente.
Il est certainement vain d'exhorter un peuple de moutons à quitter son berger pour errer dans un pâturage au risque de l'orage, du loup… ou de la nuit qui s'annonce.
Franch :
— J'ai compris en effet qu'il nous fallait simplement vivre au sein du monde, sans être du monde[vii]…
Emma :
— D'autres ont tenté cette voie… il y a fort longtemps et beaucoup d'entre eux furent massacrés !
Franch :
— Oui…
Parce qu'ils ne procédaient pas avec l'art et la manière de ne pas perturber les habitudes de celles et ceux qui s'échinent à travailler pour le système.
Tomas :
— C'est vrai.
Ils avaient un idéal, fragilisé hélas par une forme de prosélytisme, où était prôné un futur imaginaire dans lequel la mort se voulait un échec, restauré par une résurrection.
Ils vivaient leur foi en vénérant la mémoire d'un homme dont ils avaient fait un dieu[viii].
Dommage : ils sont allés de l'espoir à la désillusion !
En attendant le retour de leur messie, des tyrans ont profité des failles de leur doctrine, pour imposer leurs bergers à ces êtres épris d’une liberté, construite sur l'amour du prochain.
Ils avaient réellement en eux les prémices de l'amour humain.
Leur peur de la peur de la mort a faussé leur quête.
La mort est ce qui sense la vie.
Alors Franch, quelle méthode mets-tu en œuvre pour que nous puissions profiter de cette Concorde ?
Franch :
— Vous voulez connaître mon nouveau mode d'action ?
Yeph :
— Est-il plus efficace ?
Franch :
— Ah… ah !
Tu me l'as encore lu hier soir : la liberté à tout prix !
Enfin une île et repartir…
Le plaisir de s’envoler sans refuser le danger…
[i] Merci à Alfred Elton van VOGT et à ses armuriers d’Isher… dont la devise est : « être armé c’est être libre ».
« Le Cycle des Marchands d’Armes » est une excellente étude sur le réel pouvoir d’un tyran. Au-delà de l’histoire classée dans le registre de la science-fiction, van VOGT réalise un remarquable essai sur la liberté possible dans un monde détestable où le pouvoir rime comme toujours avec corruption. Oui, comme le disait Louis Antoine de SAINT-JUST, « régner est un crime ».
[ii] Merci à Jonathan SWIFT, peut-être le plus génial des écrivains irlandais… Un homme passionné de la cause humaine, un amoureux de l’Amour Humain !
Les guerres picrocholines de ses « Voyages de Gulliver » comme sa modeste proposition « Humble proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public » sont des merveilles d’écriture où la satire est l’arme idéale pour dénoncer les tyrannies du pouvoir.
Sur sa tombe fut inscrite l’épitaphe suivante, qu’il avait composée lui-même :
« Ici repose la dépouille de Jonathan SWIFT, D.D., doyen de cette cathédrale, qui désormais n'aura plus le cœur déchiré par l'indignation farouche. Va ton chemin, voyageur, et imite si tu le peux l'homme qui défendit la liberté envers et contre tout. ».
[iii] Merci encore à Alfred Elton van VOGT et sa rencontre avec les Slans…
[iv] Merci à Alfred Abdank KORZYBSKI pour son étude remarquable sur la Sémantique Générale. Dommage qu'il n'ait eu davantage accès aux textes d'ARISTOTE sous des traductions et versions différentes… il aurait certainement alors préféré l'appellation "pluripossibles" à celle de "non-aristotéliciens". Oui, avec le terme de "non A", il accuse finalement peut-être à tort ce philosophe d'être binaire…
ARISTOTE, dont nous n'avons que les écrits revisités par les religions et les politiques, qui nous emprisonnent depuis plusieurs millénaires a-t-il écrit « Le Rire » ? Grave question de Umberto ECCO dans « Le Nom de la Rose »…
Je pose aussi une autre question cruciale : l'hirondelle fait-elle le printemps ? (Dans « L’Éthique de (à) Nicomaque », les « traducteurs d’ARISTOTE » nous certifient que non… Peut-être pour laisser à un dieu ce privilège ?
[v] Merci à Jean de La FONTAINE pour nous avoir avec talent revisité les fables de l'Antiquité et d'y avoir parfois ajouté quelques merveilles. Ici, nous citerons « Le Loup et le Chien », splendide camouflet pour tous les tyrans…
[vi] Le dodo, cet oiseau disgracieux fut apprivoisé par l'homme lors de sa découverte. En quelques générations, il s'est sédentarisé pour finir par perdre l'usage de ses ailes. L'homme disparu, le dodo n'ayant plus de capacité propre à sa survie, s'est laissé mourir…
[vii] Merci à cette brillante idée des toutes premières communautés chrétiennes.
[viii] Merci à Jésus, dit le Nazaréen, cette figure idéalisée de l'homme en devenir. Un personnage très riche en amour, un être de paix et d’attention, avec un regard sur la vie fort intéressant. Un magister de qualité s’il n’avait pas eu cette étrange soumission à une divinité violente.
— Beaucoup d'armes pour un seul homme, Franch !
Franch :
— Exclusivement des armes de défense… de dissuasion…
Yeph :
— Combien de millénaires nous faudra-t-il encore attendre pour que nous n'ayons plus besoin d'être armés pour être libres[i] ?
Emma :
— Oh, Yeph… tu seras peut-être toujours dans la jouissance du bel objet !
Une arme a un côté fascinant dans l’esprit du mâle…
Franch :
— Pas faux, Emma !
Tomas :
— Alors, où en es-tu cher Franch, dans tes guerres picrocholines[ii] ?
Franch :
— Les quelles te passionnent le plus ?
Celles contre moi-même m'épuisent, m'occupent, me divisent, et finiront par m'achever… sans que je puisse espérer la moindre victoire !
Pour les jeux inter Bases avec la Cité, c'est une aventure qui se couronne par un triomphe.
Une page nouvelle s'écrit !
Tomas :
— Tu as donc réussi ?
L'Archyeur a proposé un nouvel armistice ?
Yeph :
— Ah, ah…
Emma :
— Pour combien de cycles ?
Le temps de reconstruire quelques ruches et d'inventer de nouvelles armes ?
Franch :
— Il y a du vrai dans vos propos…
Cependant — et Yeph le sait bien — je n'aurais pas utilisé tant d'énergie et mon talent, pour un banal traité de paix armée !
Ce qui se construit est plus joli.
Cela me semble davantage efficace… et utile pour mon plaisir !
Emma :
— Nous sommes attentifs…
Franch :
— C'est la Concorde qui vient d'être signée entre Sako et Érik.
Je suis l'acteur témoin — le catalyseur — de cette alliance.
Notre super Sako vient par cette occasion de gagner le joli titre de chef de la Concorde.
Yeph :
— Raconte-leur tes conditions ?
Franch :
— Au prix de garanties précises, sinon je relance la zizanie !
J'ai les moyens de tous nous exterminer… en faisant sauter la planète !
C'est moi donc qui ai présenté les actes à parapher avec leurs clauses précises : la liberté totale des primaires et la considération de leur statut spécifique dans les Bases… la possibilité à chaque fin de cycle de prendre en compte des individus hors normalités — en formation au CEI — se présentant comme inadaptés à une greffe seconde au sein de la Cité… et les laisser s'acclimater dans une Base… plutôt que de vouloir par la force ou la ruse, les lobotomiser !
Ils ont dû accepter enfin sans compromis le fait qu'au-delà de la Cité où l'Archyeur règne, et des Bases où il est respecté… tout espace de vie soit en-dehors de leurs champs d'investigation ou de regard.
En contrepartie, sous la surveillance et la bienveillance de Sako :
— Les rebelles sont impérativement invisibles au sein de la Cité, sous peine d'être kryfluxirés à vue et sans sommation par la garde instinctive[iii].
— Les rebelles ne doivent pas être prosélytes avec des primaires sur les Bases, où ils apprendront à être discrets.
Les rebelles éviteront ainsi tout soulèvement du peuple de la Cité contre l'Austrel, et la concorde avec les Bases sera assurée… tant que les règles posées par les rebelles sont respectées.
Les Bases sont donc autonomes et peuvent s'étendre si besoin, sur les Terres Impropres.
La Cité s'autorégule sur le principe malthusien réformé des naissances et des morts, en équilibre avec les lois économiques : la plupart des greffés — 99,7%[iv] de la population — sont alors heureux de vivre et de mourir sans trop de soucis, sans se poser de questions à problèmes…
Ils travaillent pour le bien quotidien des habitudes, et aspirent à la joie ultime qui leur est proposée.
Ils sont formatés pour exister au service d'un système régi par des consortiums et se suffisent du pain et des jeux qui leur sont donnés, contre une sécurité et un certain confort.
C'est pour tous, le meilleur des mondes possibles.
Sur les Bases, les 0,3% de marginaux vont naturellement vivoter avec des conflits, des trêves, des étapes constructrices et d'autres plus instables…
Ils se reproduiront naturellement pour donner des êtres multiples…
Certains préféreront l'équilibre de la Cité. Ils seront accueillis aussitôt avec bienveillance pour la greffe seconde.
D'autres, ouverts à des questions existentielles… oseront parfois le conflit que Sako et ses sbires sauront canaliser, voire réprimer au nom de la Concorde.
Et au sein de tout cela, nous — désignés comme rebelles, les IHN, ces 0,03% — nous pourrons vivre notre pluripossibilité sans souci… en tous lieux : des Zones Autonomes… Temporaires.
Des abeilles hors de toute ruche, libres de butiner de fleur en fleur pour embellir le monde de nos rencontres, de nos découvertes !
Emma :
— Érik a compris quoi… pour céder ainsi ?
Tomas :
— Il voulait pourtant greffer tous les humains de la planète ?
Franch :
— J'ai fait prendre conscience à Érik que par la force, il ne serait jamais gagnant…
Les 0,3% ne sont pas "encore" gérables par son service médical, mais en tant qu’Archyeur, il est sûr de sa quête.
Il a la vérité, et le peuple l'a élu pour régner sur la totalité de son petit univers.
Ce serait ridicule de vouloir lui proposer d'autres alternatives possibles au bonheur humain.
Sa sincérité se dévoile par le fait qu'il a lui-même été greffé, pour montrer l'exemple à ses sujets.
Il en subit d'ailleurs les effets secondaires avec une certaine dignité !
Le problème des 0,3% de non-aristotéliciens est récurrent. Il n'avait pas de solution malgré son équipe d'experts en tous genres…
Pour les 0,03% d'IHN avérés, le chiffre est tellement insignifiant que nous n'existons même pas…
Alors, j'ai simplement exprimé ce qu'il pouvait, ce qu'il voulait entendre : que les rebelles à la greffe évolueront certainement un jour, pour découvrir que son idée est la meilleure… lorsque l'instabilité des Bases sera jugée moins agréable à vivre que la merveilleuse harmonie de sa Cité, où tous les hommes sont heureux, grâce à la greffe cellulaire.
Ah, j'ai été à la bonne école de Yeph…
Voilà… j'ai fait évoluer le principe…
Oui !
La perfection de la Cité est l'outil idéal pour l'Archyeur et pour nous…
Je lui ai fait comprendre que bien mieux que la violence, l'exemple donne envie au solitaire de rejoindre le troupeau.
Erik a pris conscience que le loup sauvage et maigre sera séduit naturellement par la sagesse du chien apprivoisé et bien portant[v].
C'est sa publicité la plus persuasive pour espérer voir un jour le peuple des Bases se rallier à son autorité… et reconnaître la greffe seconde comme la solution au bonheur.
Pendant ce temps-là, nous pouvons vivre sans souci : à nous promener en discrétion dans la Cité, à profiter des rencontres constructives avec les primaires sur les Bases, et à jouir de la liberté dans nos Zones Autonomes !
Tomas :
— Wahoo…
Excellente variante du principe de l'âne qui n'a pas soif : persuader l'âne qui boit, que l'autre finira aussi par boire un jour…
Parce que tout n'est pas bon pour tous…
Pour que l’exception vive, l'uniformité doit l’oublier.
Yeph :
— Ah, ah, ah !
C'est génial.
Tu es vraiment un gars génial, mon cher Franch !
Franch :
— Oui, oui, cher Yeph…
C'est bien vrai.
Érik a maintenant en tête l'idée splendide d'être un exemple, afin que nous puissions tous évoluer vers le "bien unique".
Emma :
— Et tu as osé instituer Sako son messager, le garant de la Concorde !
Tomas :
— Formidable réalisation, Franch !
Le pire des tyrans potentiels est ainsi surveillé de près.
Je suis vraiment fier de toi !
Franch :
— Je trouve aussi…
Je suis plutôt fier de moi-même, en effet !
Érik — fonctionnant de manière monolithique — a compris que l'usage de la force est une pratique vaine, car la révolte gronde toujours au final, si le peuple a faim…
Yeph :
— Habile tactique, surtout lorsque nous connaissons le "promu émissaire"… ce chef de la Concorde… notre super Sako !
Il est le sujet idéal de sa majesté l'Archyeur…
Emma :
— Absolument.
Sako est un formidable suiveur, dès qu'une vérité est posée. Il sera parfait dans son rôle de sauveur.
La paix est assurée certainement pour un grand nombre de cycles…
Franch :
— Oui, je sais que tout est temporaire… une faille dans le système : si les jeux ou le pain viennent à manquer… ou un ennemi venu d'ailleurs ou interne, inconnu… qui se développe, et le fragile équilibre sera rompu…
Mais remettons cela à un temps suffisamment lointain !
Profitons…
Savourons !
Donnons-nous le plaisir de quelques jaillissements créatifs au sein de Zones Autonomes, en tous lieux… prenant bien conscience qu'elles seront éternellement temporaires !
Nous sommes mortels… alors que l'instant est d'éternité…
Tomas :
— Explique, s'il-te-plaît ?
Franch :
— J'ai pris conscience que la liberté n'est pas naturelle et surtout qu'elle n'existe pas dans la continuité.
L'homme a été formaté pour se persuader qu’il est un animal politique qui ne sait pas vivre seul.
Hélas, il ne sait pas non plus rencontrer l’autre…
Dès qu'il est en groupe, il cède très rapidement à la tentation de la facilité. Il perd le sensé de la création, l'audace de la nouveauté puis progressivement le désir… pour devenir prisonnier docile de l'habitude.
Comme pour le dodo, il en perd la faculté de voler[vi] !
Oui, l'homme repu, confie alors à plus fort — plus persuasif — une partie de sa capacité à décider, par lâcheté, peur ou aquoibonisme…
Très peu d'individus sont capables, ou même… souhaitent vivre leur hors normalités, sachant que l'absurde de leur existence ne mérite pas nécessairement la volonté à fournir.
Emma :
— Et tu penses que ce projet est viable, Franch ?
Yeph :
— Il l'est, oui chère Emma…
Franch a raison : son idée me semble excellente.
Il est certainement vain d'exhorter un peuple de moutons à quitter son berger pour errer dans un pâturage au risque de l'orage, du loup… ou de la nuit qui s'annonce.
Franch :
— J'ai compris en effet qu'il nous fallait simplement vivre au sein du monde, sans être du monde[vii]…
Emma :
— D'autres ont tenté cette voie… il y a fort longtemps et beaucoup d'entre eux furent massacrés !
Franch :
— Oui…
Parce qu'ils ne procédaient pas avec l'art et la manière de ne pas perturber les habitudes de celles et ceux qui s'échinent à travailler pour le système.
Tomas :
— C'est vrai.
Ils avaient un idéal, fragilisé hélas par une forme de prosélytisme, où était prôné un futur imaginaire dans lequel la mort se voulait un échec, restauré par une résurrection.
Ils vivaient leur foi en vénérant la mémoire d'un homme dont ils avaient fait un dieu[viii].
Dommage : ils sont allés de l'espoir à la désillusion !
En attendant le retour de leur messie, des tyrans ont profité des failles de leur doctrine, pour imposer leurs bergers à ces êtres épris d’une liberté, construite sur l'amour du prochain.
Ils avaient réellement en eux les prémices de l'amour humain.
Leur peur de la peur de la mort a faussé leur quête.
La mort est ce qui sense la vie.
Alors Franch, quelle méthode mets-tu en œuvre pour que nous puissions profiter de cette Concorde ?
Franch :
— Vous voulez connaître mon nouveau mode d'action ?
Yeph :
— Est-il plus efficace ?
Franch :
— Ah… ah !
Tu me l'as encore lu hier soir : la liberté à tout prix !
Enfin une île et repartir…
Le plaisir de s’envoler sans refuser le danger…
[i] Merci à Alfred Elton van VOGT et à ses armuriers d’Isher… dont la devise est : « être armé c’est être libre ».
« Le Cycle des Marchands d’Armes » est une excellente étude sur le réel pouvoir d’un tyran. Au-delà de l’histoire classée dans le registre de la science-fiction, van VOGT réalise un remarquable essai sur la liberté possible dans un monde détestable où le pouvoir rime comme toujours avec corruption. Oui, comme le disait Louis Antoine de SAINT-JUST, « régner est un crime ».
[ii] Merci à Jonathan SWIFT, peut-être le plus génial des écrivains irlandais… Un homme passionné de la cause humaine, un amoureux de l’Amour Humain !
Les guerres picrocholines de ses « Voyages de Gulliver » comme sa modeste proposition « Humble proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public » sont des merveilles d’écriture où la satire est l’arme idéale pour dénoncer les tyrannies du pouvoir.
Sur sa tombe fut inscrite l’épitaphe suivante, qu’il avait composée lui-même :
« Ici repose la dépouille de Jonathan SWIFT, D.D., doyen de cette cathédrale, qui désormais n'aura plus le cœur déchiré par l'indignation farouche. Va ton chemin, voyageur, et imite si tu le peux l'homme qui défendit la liberté envers et contre tout. ».
[iii] Merci encore à Alfred Elton van VOGT et sa rencontre avec les Slans…
[iv] Merci à Alfred Abdank KORZYBSKI pour son étude remarquable sur la Sémantique Générale. Dommage qu'il n'ait eu davantage accès aux textes d'ARISTOTE sous des traductions et versions différentes… il aurait certainement alors préféré l'appellation "pluripossibles" à celle de "non-aristotéliciens". Oui, avec le terme de "non A", il accuse finalement peut-être à tort ce philosophe d'être binaire…
ARISTOTE, dont nous n'avons que les écrits revisités par les religions et les politiques, qui nous emprisonnent depuis plusieurs millénaires a-t-il écrit « Le Rire » ? Grave question de Umberto ECCO dans « Le Nom de la Rose »…
Je pose aussi une autre question cruciale : l'hirondelle fait-elle le printemps ? (Dans « L’Éthique de (à) Nicomaque », les « traducteurs d’ARISTOTE » nous certifient que non… Peut-être pour laisser à un dieu ce privilège ?
[v] Merci à Jean de La FONTAINE pour nous avoir avec talent revisité les fables de l'Antiquité et d'y avoir parfois ajouté quelques merveilles. Ici, nous citerons « Le Loup et le Chien », splendide camouflet pour tous les tyrans…
[vi] Le dodo, cet oiseau disgracieux fut apprivoisé par l'homme lors de sa découverte. En quelques générations, il s'est sédentarisé pour finir par perdre l'usage de ses ailes. L'homme disparu, le dodo n'ayant plus de capacité propre à sa survie, s'est laissé mourir…
[vii] Merci à cette brillante idée des toutes premières communautés chrétiennes.
[viii] Merci à Jésus, dit le Nazaréen, cette figure idéalisée de l'homme en devenir. Un personnage très riche en amour, un être de paix et d’attention, avec un regard sur la vie fort intéressant. Un magister de qualité s’il n’avait pas eu cette étrange soumission à une divinité violente.
LIBERTÉ
I
Laisse-moi je te prie
Le temps qu'il me faudra
Non pour te pardonner
Mais pour savoir t'aimer.
Je suis comme un oiseau
Libre, ainsi je m'envole
Et dans mes soirs de rêves,
Je jouis des nuages.
Oui ! J’ose m’exprimer :
M’élancer vers les cieux,
Rejoindre la lumière
Oublier tout danger…
II
Alors, à mes dépens
Sans loi, sans roi, sans chaîne,
Me voici une proie
Pour le moindre fusil.
Souvent, je suis blessé
Puis tout cela s’oublie,
Car pour la liberté
Je donnerais ma vie.
Aussi, je me relève
Mais en mon cœur meurtri,
La peur d'un autre coup
Semble affaiblir mes ailes.
Des nuits et des larmes
Puis le grand jour enfin
Où, confiant, joyeux,
J'exulte ivre de ciel.
Laisse-moi je te prie
Le temps qu'il me faudra
Non pour te pardonner
Mais pour savoir t'aimer.
Je suis comme un oiseau
Libre, ainsi je m'envole
Et dans mes soirs de rêves,
Je jouis des nuages.
Oui ! J’ose m’exprimer :
M’élancer vers les cieux,
Rejoindre la lumière
Oublier tout danger…
II
Alors, à mes dépens
Sans loi, sans roi, sans chaîne,
Me voici une proie
Pour le moindre fusil.
Souvent, je suis blessé
Puis tout cela s’oublie,
Car pour la liberté
Je donnerais ma vie.
Aussi, je me relève
Mais en mon cœur meurtri,
La peur d'un autre coup
Semble affaiblir mes ailes.
Des nuits et des larmes
Puis le grand jour enfin
Où, confiant, joyeux,
J'exulte ivre de ciel.
Emma :
— Ah !
Tomas :
— Je comprends…
Franch :
— Oui.
Le principe de la Zone Autonome Temporaire est une proposition pirate[i].
Avec l'apprentissage des valeurs, nous devenons des affranchis.
Quel plaisir alors que de savourer la liberté en des lieux et en des temps précis…
Et lorsque deux ou trois d'entre nous sont réunis, l'espace s'ouvre à la rencontre.
Nous pouvons y puiser les forces vives d'un instant, pour repartir vers d'autres horizons… vivre notre quête respective, apprendre, rencontrer et peut-être combattre… non, pardon, lutter… et parfois, aimer !
Tomas :
— Ah, cher Franch, tu as probablement compris une des raisons de notre vie terrestre.
Tu es dans une quête merveilleuse et je t'envie davantage encore, moi qui perds chaque jour de mon autonomie créatrice, malgré tous mes efforts.
J'ai quitté la colère, je ne suis plus dans la vengeance, mais l'aigreur me gagne encore.
La peur de me trouver diminué à ne plus me reconnaître et de me trouver médiocre face à vous, m'incite à la solitude.
Yeph :
— Tomas…
Tomas :
— Oh…
Je sais que vous m'aimez…
Cependant…
Constater que je perds petit à petit la puissance de mes dons créateurs est extrêmement douloureux psychologiquement.
Vous êtes en progrès constant…
Je faiblis.
Il y a ce coté absurde et injuste du sort qui s’acharne…
Pourquoi est-ce tombé sur moi ?
Oui, je vous jalouse !
Oui, je suis triste.
Yeph :
— Tomas…
Nous avons tenté de trouver des portes nouvelles…
Vainement à ce jour…
Et nous cherchons encore et toujours.
Emma :
— Tu es encore le meilleur de toi-même, à voir tes derniers travaux…
Tomas :
— Si peu…
Je ne contrôle déjà plus ma lucidité affective.
Yeph :
— Hum…
J'ai une espérance très relative dans une restauration de ton cortex.
En raison de la blessure très forte de ton affect, et au regard de ce corps que tu n'as guère ménagé lorsque tu étais au CEI, les dégâts sont sérieux… cependant, je sais qu'il y a quelques médecins chercheurs en qui j'ai confiance…
Si tu le souhaites…
Ils sont à l'œuvre sur la Base de l'Égrêt…
Emma :
— Au nouveau sanatorium ?
Franch :
— C'est encore un plan qui nous conduira certainement vers une nouvelle Chalystime ?
Tu es donc prêt à envoyer Tomas à la mort ?
C'est la solution finale…
Radicale.
Tomas ira enfin bien… en parfaite harmonie : désintégré !
C'est sans concession… j'aime presque cela…
Thomas est guéri ?
Oui, il est mort[ii] !
Tomas :
— Bonne idée cher Franch !
Concevoir la mort pour ne pas me voir diminuer… c'est une pensée de chaque instant, lorsque je suis livré volontaire à ma solitude.
Yeph :
— Mourir n'est pas le problème qui nous préoccupe. C'est le sens de la vie qui est au centre de notre histoire.
Le professeur Bruno m'avait rappelé — quelques heures avant d'être kryfluxiré — que si nous prolongeons avec art la durée de vie des humains, nous ne savons plus comment la senser[iii] ! C'est aujourd'hui une manne économique : Il y a suffisamment de mouroirs qui font la fortune des consortiums. On y prolonge — en battant des records — la vie de vieillards centenaires, par une médication coûteuse qui les lobotomise…
Ces fantômes sont la culpabilité de leurs enfants qui doivent payer des maisons de retraite et des frais médicaux toujours plus chers — impôts supplémentaires — pour s'affranchir de leur honte, d'être sans force pour jouer le rôle absurde du père ou de la mère de leurs propres géniteurs.
C'est le moyen idéal trouvé par l'Austrel pour supprimer définitivement la notion de famille, où l'amour saurait s'éveiller.
Et pendant ce temps-là, ils endoctrinent les enfants, livrés à eux-mêmes.
Franch :
— Et pourquoi donc veux-tu envoyer Tomas dans cet asile ?
Yeph :
— J'ai eu la chance, avec ce cher Bruno, de rencontrer et de me lier d'amitié avec le docteur Arno et bien d'autres médecins chercheurs et praticiens comme Nicol et surtout Charly. Ils ont des valeurs anthroposophiques et vivent toujours leur pratique de la médecine en considérant l'humain. Leur mission au sanatorium est portée par une éthique qui a coûté la vie à beaucoup de leurs confrères. Ils ont souffert aussi mais ils sont vivants et réussissent encore à ne pas être séduits par les belles paroles des présidents des consortiums et surtout des laboratoires pharmaceutiques noyautés par la Guilde des marchands d'armes.
Ah…
J'ai vu sous mes propres yeux Bruno… se faire kryfluxirer par la garde instinctive !
Tomas :
— Tu n'es toujours pas consolé ?
Emma :
— Un jour certainement…
On se console toujours[iv]…
Franch :
— Non.
Je pense que l'on ne se console pas nécessairement de tout…
Surtout de la perte d'un être cher.
Il y a maintenant l'inconnu, le néant qui s'ouvre à nous. La mort de l'autre est un vide que personne ne saurait combler.
Emma :
— Le vide dont tu parles, est-il davantage lié à la peur de ta propre mort, que tu cherches, que tu nargues avec délectation bien souvent dans tes sports extrêmes[v] ?
Tomas :
— Cela rejoint mon désir de mourir et l'impossibilité de faire ce pas de trop un peu fou.
Je te comprends, Franch de préférer la loterie[vi], même si tu triches un peu… pour laisser à la mort le choix de l'instant suprême où tu ne seras plus rien !
Franch :
— Plus rien… ou libre pour l'inconnu ?
Ai-je la peur du néant pour demain ou suis-je désespéré de l'absurde de l'instant présent ?
Savoir si j'existe et voir partir celles et ceux que j'aime…
Donner vie à une œuvre, à un enfant… et perdre le goût de tout, puisque cela est si ridicule.
À quoi bon ?
Du néant au néant…
Emma :
— Oser jaillir… créer pour savourer l'instant présent… aimer… quelques pistes pour effacer une tristesse et donner un nouveau goût à notre vie ?
Yeph :
— Hélas, Emma…
Comme Franch, je reste dans la tristesse malgré toutes ces tentatives vaines de réveiller l'espoir.
Après, certains croient en la résilience… C'est parfois un succès pour un temps… pourtant cela n'efface pas la mémoire.
Un drame ne peut s'oublier. Il garde en nous des traces et des cicatrices que le temps peut effacer… en surface.
Cependant, l'être ne retourne pas dans son passé pour se restaurer. C’est un fantasme qui incite à la régression.
Il n'y a pas de "retour à l'intégrité" après un traumatisme… il y a plus logiquement à rechercher une tentative d'harmonisation nouvelle, une création autre, en jaillissement.
J'estime que nous sommes en expansion, comme l'univers… Je désire donc développer le meilleur pour que la place prise par la souffrance devienne moindre en proportion… pour se révéler insignifiante…
Alors, j'ai le sentiment de vivre sans le handicap des misères du passé… poussières dans l'espace de mes joies !
Oui, j'ai pleuré Bruno.
Oui, j'aime Arno, Charly, Nicol et les autres…
Et je te pleure déjà, Tomas…
C'est Arno qui a pris la responsabilité du secteur "recherche" au sanatorium de la Base de l'Égrêt. Il se consacre essentiellement aux méfaits de la greffe seconde sur le cortex… particulièrement les problèmes de dégénérescence cérébrale.
Emma :
— Tu sais très bien cependant qu'il est surveillé de près par Frado et sa clique !
Tomas :
— À qui pourrais-je faire confiance ?
Franch :
— Frado… celui-là sera tôt ou tard dans la ligne de mire de mon petit bijou…
Et dzzing… pschitt…
Poussière… ce salopard !
Yeph :
— Frado disparu, mille autres jeunes loups seront attentifs pour prendre la relève et nous semer de nouvelles fleurs d'ellébore.
Esquivons Frado avec art, et peut-être pouvons-nous espérer en la force d'Arno et de son équipe pour respecter ce vieux serment d'Hippocrate[vii].
Tomas :
— Nous n'en avons jamais parlé ensemble…
Yeph :
— C'est un pacte très ancien… qui n'est plus d'usage dans les lois de ce monde… ou alors réduit à un rite folklorique…
Le serment d'Hippocrate se voulait être une alliance sincère. Le jeune médecin promettait à ses pairs, aux dieux et aux malades, d'utiliser sa science, ses dons, ses talents et son travail, pour les mettre au service du souffrant.
Il assurait qu'il ne chercherait pas la gloire ou le pouvoir, encore moins la soif du gain… Aussi, il jurait de ne pas prolonger abusivement les agonies et bien entendu, de ne jamais provoquer la mort délibérément[viii].
Hélas, aujourd'hui, le monde médical donne naissance à toujours davantage de petits chefs en tout genre. La médecine forme des tyrans qui combattent les armes à la main pour espérer régner comme Phil et Gil, dans les assemblées[ix]. Ils se font élire ou prennent de force des postes d'accusateurs publics ou de responsables territoriaux… visant toujours les places les plus hautes dans cette pyramide du pouvoir !
L'Austrel attire.
Médecine, politique et plaisir de la guerre sont incompatibles pour une femme ou un homme honnête !
Franch :
— La politique est corruptrice… régner est un crime[x] !
Tomas :
— Bien entendu.
Comment vouloir soigner… et s’autoriser une autorité sur un plus faible ?
Il n'y a pas de légitimité dans cette puissance du médecin sur le malade.
La hiérarchie fausse le jugement, lorsque ce n’est pas directement l’idéologie.
L'argent aussi.
Emma :
— Arno a conservé son intégrité…
Pour combien de temps ?
Le sanatorium offre encore quelques espaces libres des regards de l'Austrel…
S'il est temps d'agir, pourquoi pas ?
Franch :
— Tu veux dire qu'il y a aussi sur la Base de l'Égrêt des Zones Autonomes ?
Yeph :
— Temporairement… oui !
Il y en a partout.
Tomas :
— Et vous projetez donc de m'envoyer là-bas ?
Yeph :
— Pourquoi pas ?
Tomas :
— Et si je n’ai plus d’espoir ?
Franch :
— Moi, je n’ai aucune confiance en ce lieu…
Tomas :
— Mille, dix mille… cent mille fois une porte face à moi… et en vain… une illusion de plus !
De déceptions en déceptions… je m'éteins !
Je suis las… si las !
Emma :
— La vie est peut-être à ce prix : oser, oser encore.
De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace[xi] !
Tomas :
— Au prix de combien de souffrances ?
Et pour quels piètres résultats ?
Sauvés pour quelques instants de plus… une patrie comme un corps seront tôt ou tard perdus !
C'est facile pour vous de penser à ma place.
Que savez-vous de ma douleur ?
Qui sera encore le cobaye ?
Vous êtes parfois ridicules avec vos airs peinés !
Yeph :
— Oui, Tomas…
C'est bien le mot : ridicules !
L'amour est ridicule… et pourtant ?
Oui… tu es entouré d'êtres ridicules… qui t'aiment !
Tomas :
— Ah…
Je sais bien que c’est mon ridicule, si sérieux, si frustré… qui me tue.
Combien de maladresses, de blessures, de fautes destructrices et de drames, au nom de l'amour ?
Franch :
— Ah, les accidents d'amour[xii]…
Je suis moins triste à ne plus espérer.
Contrairement à vous — bien résolu à attendre la mort — je n'ai plus à souffrir de nouvelles déceptions !
Tomas :
— C'est sûr !
Yeph :
— Les amis…
Voici une visio que j'ai pu enregistrer il y a peu…
Si vous voulez bien lui prêter quelques instants d'attention.
[i] Merci à Hakim BEY, tant pour son « Art du Chaos », que pour son étude sur toutes les « Zones Autonomes »… Un vrai pirate ce monsieur !
[ii] Merci à Monsieur de MOLIÈRE à qui fut attribué le texte de « L'Amour Médecin », œuvre toujours d'actualité !
[iii] Merci au frère Bruno CADORÉ, Docteur spécialiste de bioéthique médicale à ses heures retrouvées…
[iv] Merci à Antoine de SAINT-EXUPÉRY… puisque je ne suis toujours pas convaincu de sa certitude, après le départ du Petit Prince.
Cela m'a demandé de très longues réflexions pour réfuter son propos.
[v] Merci à Tancrède MELET… Funambule de l’extrême !
[vi] Merci à Jorge Luis BORGES et sa très étrange « Loterie de Babylone ».
[vii] Merci au « Serment d'Hippocrate » :
(Traduction d'Émile LITTRÉ reprise de Wikipédia).
« Je jure par Apollon, médecin, par Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin que je remplirai, suivant mes forces et ma capacité, le serment et l'engagement écrit suivant :
Je mettrai mon maître de médecine au même rang que mes parents, je partagerai avec lui mon avoir et, le cas échéant, je pourvoirai à ses besoins ; je considérerai ses enfants comme mes frères, et, s'ils désirent apprendre la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement. Je ferai part de mes préceptes, des leçons orales et du reste de l'enseignement à mes fils, à ceux de mon maître et aux disciples liés par engagement et un serment suivant la loi médicale, mais à nul autre.
Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m'abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion ; semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif. Je passerai ma vie et j'exercerai mon art dans l'innocence et la pureté.
Je ne pratiquerai pas l'opération de la taille.
Dans quelque maison que je rentre, j'y entrerai pour l'utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur, et surtout de la séduction des femmes et des garçons, libres ou esclaves.
Quoi que je voie ou entende dans la société pendant, ou même hors de l'exercice de ma profession, je tairai ce qui n’a jamais besoin d'être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas.
Si je remplis ce serment sans l'enfreindre, qu'il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais des hommes ; si je le viole et que je me parjure, puissé-je avoir un sort contraire et mourir dans la tristesse. ».
[viii] Merci à la version française de 1996 de « l'ordre français des médecins »…
[ix] Merci au Che !
Oui, merci à Ernesto GUEVARA dit « CHE GUEVARA », Ce médecin des pauvres qui devint un tyran sanguinaire, au nom du peuple…
Il est toujours admiré par celles et ceux qui aiment le sang qui coule !
On lui reprocha d’avoir peut-être abattu des innocents — quant aux coupables, selon les lois du moment, ils devaient certainement mériter la mort !
CHE GUEVARA a su condamner, exécuter et faire exécuter des hommes, lui qui était médecin dans la tradition d’Hippocrate !
La politique, la justice, le journalisme, l’armée et la médecine ne sont pas compatibles. Merci à L’Assemblée Nationale, lieu de rassemblement du corps médical pour décider du sort du peuple… Le Docteur Bernard ACCOYER — fossoyeur des professions psy — en a été un symbole parmi tant d’autres comme le docteur CAHUZAC… à la suite du grand Georges CLEMENCEAU, ce « tigre » médecin qui a plus condamné que soigné… pour la raison d’État ! Il était médecin, journaliste en aimant tellement la guerre… comme d’autres aiment l’argent ! Ce « père la Victoire » a sur les mains le sang des victimes de la guerre 1914 – 1918, comme celui de la suivante… Pendant la triste « conférence de la paix de Paris en 1919 », la future chair à canon de la classe militaire de 1940 attendait en larmes… Comme le dessinait Will DYSON en 1919…
Combien de malades nous gouvernent ?
[x] Merci à Louis Antoine de SAINT-JUST, ce beau jeune homme qui sera condamné pour avoir pris un pouvoir dont il clamait l’insupportable charge.
Oui, selon SAINT-JUST, « on ne peut régner innocemment »… et il certifiait que « l’art de gouverner n’a produit que des monstres ». Il a voté la mort du roi parce que « régner est un crime ».
Comme il s’assoira lui-même sur un petit trône à la Convention nationale… afin de tenter de sauver la République : à 26 ans, est-ce un bel âge pour la guillotine ?
De toutes les façons, n’a-t-il pas dit, ce cher SAINT-JUST, que « le peuple n’a qu’un ennemi dangereux, c’est son gouvernement » ?
Et ce fut la chute de l’Archange de la Terreur.
[xi] Merci à Georges DANTON, et à sa citation favorite alors que la Patrie est en danger : « Il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France sera sauvée ! ».
Et depuis, des morts, des présidents, des rois ou des empereurs, encore des morts, toujours des présidents… et des morts toujours !
Vive la France !
[xii] Merci à Serge LAMA pour son magnifique et terrible « Accident d'Amour… monsieur le commissaire ! » Il est extrait de l’album « L’âge d’Horizon ».
— Ah !
Tomas :
— Je comprends…
Franch :
— Oui.
Le principe de la Zone Autonome Temporaire est une proposition pirate[i].
Avec l'apprentissage des valeurs, nous devenons des affranchis.
Quel plaisir alors que de savourer la liberté en des lieux et en des temps précis…
Et lorsque deux ou trois d'entre nous sont réunis, l'espace s'ouvre à la rencontre.
Nous pouvons y puiser les forces vives d'un instant, pour repartir vers d'autres horizons… vivre notre quête respective, apprendre, rencontrer et peut-être combattre… non, pardon, lutter… et parfois, aimer !
Tomas :
— Ah, cher Franch, tu as probablement compris une des raisons de notre vie terrestre.
Tu es dans une quête merveilleuse et je t'envie davantage encore, moi qui perds chaque jour de mon autonomie créatrice, malgré tous mes efforts.
J'ai quitté la colère, je ne suis plus dans la vengeance, mais l'aigreur me gagne encore.
La peur de me trouver diminué à ne plus me reconnaître et de me trouver médiocre face à vous, m'incite à la solitude.
Yeph :
— Tomas…
Tomas :
— Oh…
Je sais que vous m'aimez…
Cependant…
Constater que je perds petit à petit la puissance de mes dons créateurs est extrêmement douloureux psychologiquement.
Vous êtes en progrès constant…
Je faiblis.
Il y a ce coté absurde et injuste du sort qui s’acharne…
Pourquoi est-ce tombé sur moi ?
Oui, je vous jalouse !
Oui, je suis triste.
Yeph :
— Tomas…
Nous avons tenté de trouver des portes nouvelles…
Vainement à ce jour…
Et nous cherchons encore et toujours.
Emma :
— Tu es encore le meilleur de toi-même, à voir tes derniers travaux…
Tomas :
— Si peu…
Je ne contrôle déjà plus ma lucidité affective.
Yeph :
— Hum…
J'ai une espérance très relative dans une restauration de ton cortex.
En raison de la blessure très forte de ton affect, et au regard de ce corps que tu n'as guère ménagé lorsque tu étais au CEI, les dégâts sont sérieux… cependant, je sais qu'il y a quelques médecins chercheurs en qui j'ai confiance…
Si tu le souhaites…
Ils sont à l'œuvre sur la Base de l'Égrêt…
Emma :
— Au nouveau sanatorium ?
Franch :
— C'est encore un plan qui nous conduira certainement vers une nouvelle Chalystime ?
Tu es donc prêt à envoyer Tomas à la mort ?
C'est la solution finale…
Radicale.
Tomas ira enfin bien… en parfaite harmonie : désintégré !
C'est sans concession… j'aime presque cela…
Thomas est guéri ?
Oui, il est mort[ii] !
Tomas :
— Bonne idée cher Franch !
Concevoir la mort pour ne pas me voir diminuer… c'est une pensée de chaque instant, lorsque je suis livré volontaire à ma solitude.
Yeph :
— Mourir n'est pas le problème qui nous préoccupe. C'est le sens de la vie qui est au centre de notre histoire.
Le professeur Bruno m'avait rappelé — quelques heures avant d'être kryfluxiré — que si nous prolongeons avec art la durée de vie des humains, nous ne savons plus comment la senser[iii] ! C'est aujourd'hui une manne économique : Il y a suffisamment de mouroirs qui font la fortune des consortiums. On y prolonge — en battant des records — la vie de vieillards centenaires, par une médication coûteuse qui les lobotomise…
Ces fantômes sont la culpabilité de leurs enfants qui doivent payer des maisons de retraite et des frais médicaux toujours plus chers — impôts supplémentaires — pour s'affranchir de leur honte, d'être sans force pour jouer le rôle absurde du père ou de la mère de leurs propres géniteurs.
C'est le moyen idéal trouvé par l'Austrel pour supprimer définitivement la notion de famille, où l'amour saurait s'éveiller.
Et pendant ce temps-là, ils endoctrinent les enfants, livrés à eux-mêmes.
Franch :
— Et pourquoi donc veux-tu envoyer Tomas dans cet asile ?
Yeph :
— J'ai eu la chance, avec ce cher Bruno, de rencontrer et de me lier d'amitié avec le docteur Arno et bien d'autres médecins chercheurs et praticiens comme Nicol et surtout Charly. Ils ont des valeurs anthroposophiques et vivent toujours leur pratique de la médecine en considérant l'humain. Leur mission au sanatorium est portée par une éthique qui a coûté la vie à beaucoup de leurs confrères. Ils ont souffert aussi mais ils sont vivants et réussissent encore à ne pas être séduits par les belles paroles des présidents des consortiums et surtout des laboratoires pharmaceutiques noyautés par la Guilde des marchands d'armes.
Ah…
J'ai vu sous mes propres yeux Bruno… se faire kryfluxirer par la garde instinctive !
Tomas :
— Tu n'es toujours pas consolé ?
Emma :
— Un jour certainement…
On se console toujours[iv]…
Franch :
— Non.
Je pense que l'on ne se console pas nécessairement de tout…
Surtout de la perte d'un être cher.
Il y a maintenant l'inconnu, le néant qui s'ouvre à nous. La mort de l'autre est un vide que personne ne saurait combler.
Emma :
— Le vide dont tu parles, est-il davantage lié à la peur de ta propre mort, que tu cherches, que tu nargues avec délectation bien souvent dans tes sports extrêmes[v] ?
Tomas :
— Cela rejoint mon désir de mourir et l'impossibilité de faire ce pas de trop un peu fou.
Je te comprends, Franch de préférer la loterie[vi], même si tu triches un peu… pour laisser à la mort le choix de l'instant suprême où tu ne seras plus rien !
Franch :
— Plus rien… ou libre pour l'inconnu ?
Ai-je la peur du néant pour demain ou suis-je désespéré de l'absurde de l'instant présent ?
Savoir si j'existe et voir partir celles et ceux que j'aime…
Donner vie à une œuvre, à un enfant… et perdre le goût de tout, puisque cela est si ridicule.
À quoi bon ?
Du néant au néant…
Emma :
— Oser jaillir… créer pour savourer l'instant présent… aimer… quelques pistes pour effacer une tristesse et donner un nouveau goût à notre vie ?
Yeph :
— Hélas, Emma…
Comme Franch, je reste dans la tristesse malgré toutes ces tentatives vaines de réveiller l'espoir.
Après, certains croient en la résilience… C'est parfois un succès pour un temps… pourtant cela n'efface pas la mémoire.
Un drame ne peut s'oublier. Il garde en nous des traces et des cicatrices que le temps peut effacer… en surface.
Cependant, l'être ne retourne pas dans son passé pour se restaurer. C’est un fantasme qui incite à la régression.
Il n'y a pas de "retour à l'intégrité" après un traumatisme… il y a plus logiquement à rechercher une tentative d'harmonisation nouvelle, une création autre, en jaillissement.
J'estime que nous sommes en expansion, comme l'univers… Je désire donc développer le meilleur pour que la place prise par la souffrance devienne moindre en proportion… pour se révéler insignifiante…
Alors, j'ai le sentiment de vivre sans le handicap des misères du passé… poussières dans l'espace de mes joies !
Oui, j'ai pleuré Bruno.
Oui, j'aime Arno, Charly, Nicol et les autres…
Et je te pleure déjà, Tomas…
C'est Arno qui a pris la responsabilité du secteur "recherche" au sanatorium de la Base de l'Égrêt. Il se consacre essentiellement aux méfaits de la greffe seconde sur le cortex… particulièrement les problèmes de dégénérescence cérébrale.
Emma :
— Tu sais très bien cependant qu'il est surveillé de près par Frado et sa clique !
Tomas :
— À qui pourrais-je faire confiance ?
Franch :
— Frado… celui-là sera tôt ou tard dans la ligne de mire de mon petit bijou…
Et dzzing… pschitt…
Poussière… ce salopard !
Yeph :
— Frado disparu, mille autres jeunes loups seront attentifs pour prendre la relève et nous semer de nouvelles fleurs d'ellébore.
Esquivons Frado avec art, et peut-être pouvons-nous espérer en la force d'Arno et de son équipe pour respecter ce vieux serment d'Hippocrate[vii].
Tomas :
— Nous n'en avons jamais parlé ensemble…
Yeph :
— C'est un pacte très ancien… qui n'est plus d'usage dans les lois de ce monde… ou alors réduit à un rite folklorique…
Le serment d'Hippocrate se voulait être une alliance sincère. Le jeune médecin promettait à ses pairs, aux dieux et aux malades, d'utiliser sa science, ses dons, ses talents et son travail, pour les mettre au service du souffrant.
Il assurait qu'il ne chercherait pas la gloire ou le pouvoir, encore moins la soif du gain… Aussi, il jurait de ne pas prolonger abusivement les agonies et bien entendu, de ne jamais provoquer la mort délibérément[viii].
Hélas, aujourd'hui, le monde médical donne naissance à toujours davantage de petits chefs en tout genre. La médecine forme des tyrans qui combattent les armes à la main pour espérer régner comme Phil et Gil, dans les assemblées[ix]. Ils se font élire ou prennent de force des postes d'accusateurs publics ou de responsables territoriaux… visant toujours les places les plus hautes dans cette pyramide du pouvoir !
L'Austrel attire.
Médecine, politique et plaisir de la guerre sont incompatibles pour une femme ou un homme honnête !
Franch :
— La politique est corruptrice… régner est un crime[x] !
Tomas :
— Bien entendu.
Comment vouloir soigner… et s’autoriser une autorité sur un plus faible ?
Il n'y a pas de légitimité dans cette puissance du médecin sur le malade.
La hiérarchie fausse le jugement, lorsque ce n’est pas directement l’idéologie.
L'argent aussi.
Emma :
— Arno a conservé son intégrité…
Pour combien de temps ?
Le sanatorium offre encore quelques espaces libres des regards de l'Austrel…
S'il est temps d'agir, pourquoi pas ?
Franch :
— Tu veux dire qu'il y a aussi sur la Base de l'Égrêt des Zones Autonomes ?
Yeph :
— Temporairement… oui !
Il y en a partout.
Tomas :
— Et vous projetez donc de m'envoyer là-bas ?
Yeph :
— Pourquoi pas ?
Tomas :
— Et si je n’ai plus d’espoir ?
Franch :
— Moi, je n’ai aucune confiance en ce lieu…
Tomas :
— Mille, dix mille… cent mille fois une porte face à moi… et en vain… une illusion de plus !
De déceptions en déceptions… je m'éteins !
Je suis las… si las !
Emma :
— La vie est peut-être à ce prix : oser, oser encore.
De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace[xi] !
Tomas :
— Au prix de combien de souffrances ?
Et pour quels piètres résultats ?
Sauvés pour quelques instants de plus… une patrie comme un corps seront tôt ou tard perdus !
C'est facile pour vous de penser à ma place.
Que savez-vous de ma douleur ?
Qui sera encore le cobaye ?
Vous êtes parfois ridicules avec vos airs peinés !
Yeph :
— Oui, Tomas…
C'est bien le mot : ridicules !
L'amour est ridicule… et pourtant ?
Oui… tu es entouré d'êtres ridicules… qui t'aiment !
Tomas :
— Ah…
Je sais bien que c’est mon ridicule, si sérieux, si frustré… qui me tue.
Combien de maladresses, de blessures, de fautes destructrices et de drames, au nom de l'amour ?
Franch :
— Ah, les accidents d'amour[xii]…
Je suis moins triste à ne plus espérer.
Contrairement à vous — bien résolu à attendre la mort — je n'ai plus à souffrir de nouvelles déceptions !
Tomas :
— C'est sûr !
Yeph :
— Les amis…
Voici une visio que j'ai pu enregistrer il y a peu…
Si vous voulez bien lui prêter quelques instants d'attention.
[i] Merci à Hakim BEY, tant pour son « Art du Chaos », que pour son étude sur toutes les « Zones Autonomes »… Un vrai pirate ce monsieur !
[ii] Merci à Monsieur de MOLIÈRE à qui fut attribué le texte de « L'Amour Médecin », œuvre toujours d'actualité !
[iii] Merci au frère Bruno CADORÉ, Docteur spécialiste de bioéthique médicale à ses heures retrouvées…
[iv] Merci à Antoine de SAINT-EXUPÉRY… puisque je ne suis toujours pas convaincu de sa certitude, après le départ du Petit Prince.
Cela m'a demandé de très longues réflexions pour réfuter son propos.
[v] Merci à Tancrède MELET… Funambule de l’extrême !
[vi] Merci à Jorge Luis BORGES et sa très étrange « Loterie de Babylone ».
[vii] Merci au « Serment d'Hippocrate » :
(Traduction d'Émile LITTRÉ reprise de Wikipédia).
« Je jure par Apollon, médecin, par Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin que je remplirai, suivant mes forces et ma capacité, le serment et l'engagement écrit suivant :
Je mettrai mon maître de médecine au même rang que mes parents, je partagerai avec lui mon avoir et, le cas échéant, je pourvoirai à ses besoins ; je considérerai ses enfants comme mes frères, et, s'ils désirent apprendre la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement. Je ferai part de mes préceptes, des leçons orales et du reste de l'enseignement à mes fils, à ceux de mon maître et aux disciples liés par engagement et un serment suivant la loi médicale, mais à nul autre.
Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m'abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion ; semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif. Je passerai ma vie et j'exercerai mon art dans l'innocence et la pureté.
Je ne pratiquerai pas l'opération de la taille.
Dans quelque maison que je rentre, j'y entrerai pour l'utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur, et surtout de la séduction des femmes et des garçons, libres ou esclaves.
Quoi que je voie ou entende dans la société pendant, ou même hors de l'exercice de ma profession, je tairai ce qui n’a jamais besoin d'être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas.
Si je remplis ce serment sans l'enfreindre, qu'il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais des hommes ; si je le viole et que je me parjure, puissé-je avoir un sort contraire et mourir dans la tristesse. ».
[viii] Merci à la version française de 1996 de « l'ordre français des médecins »…
[ix] Merci au Che !
Oui, merci à Ernesto GUEVARA dit « CHE GUEVARA », Ce médecin des pauvres qui devint un tyran sanguinaire, au nom du peuple…
Il est toujours admiré par celles et ceux qui aiment le sang qui coule !
On lui reprocha d’avoir peut-être abattu des innocents — quant aux coupables, selon les lois du moment, ils devaient certainement mériter la mort !
CHE GUEVARA a su condamner, exécuter et faire exécuter des hommes, lui qui était médecin dans la tradition d’Hippocrate !
La politique, la justice, le journalisme, l’armée et la médecine ne sont pas compatibles. Merci à L’Assemblée Nationale, lieu de rassemblement du corps médical pour décider du sort du peuple… Le Docteur Bernard ACCOYER — fossoyeur des professions psy — en a été un symbole parmi tant d’autres comme le docteur CAHUZAC… à la suite du grand Georges CLEMENCEAU, ce « tigre » médecin qui a plus condamné que soigné… pour la raison d’État ! Il était médecin, journaliste en aimant tellement la guerre… comme d’autres aiment l’argent ! Ce « père la Victoire » a sur les mains le sang des victimes de la guerre 1914 – 1918, comme celui de la suivante… Pendant la triste « conférence de la paix de Paris en 1919 », la future chair à canon de la classe militaire de 1940 attendait en larmes… Comme le dessinait Will DYSON en 1919…
Combien de malades nous gouvernent ?
[x] Merci à Louis Antoine de SAINT-JUST, ce beau jeune homme qui sera condamné pour avoir pris un pouvoir dont il clamait l’insupportable charge.
Oui, selon SAINT-JUST, « on ne peut régner innocemment »… et il certifiait que « l’art de gouverner n’a produit que des monstres ». Il a voté la mort du roi parce que « régner est un crime ».
Comme il s’assoira lui-même sur un petit trône à la Convention nationale… afin de tenter de sauver la République : à 26 ans, est-ce un bel âge pour la guillotine ?
De toutes les façons, n’a-t-il pas dit, ce cher SAINT-JUST, que « le peuple n’a qu’un ennemi dangereux, c’est son gouvernement » ?
Et ce fut la chute de l’Archange de la Terreur.
[xi] Merci à Georges DANTON, et à sa citation favorite alors que la Patrie est en danger : « Il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France sera sauvée ! ».
Et depuis, des morts, des présidents, des rois ou des empereurs, encore des morts, toujours des présidents… et des morts toujours !
Vive la France !
[xii] Merci à Serge LAMA pour son magnifique et terrible « Accident d'Amour… monsieur le commissaire ! » Il est extrait de l’album « L’âge d’Horizon ».
[Sur l'écran par projection :]
Sako :
— Ô Érik, vous m'avez demandé au plus vite.
Me voici.
Érik :
— Oui, Sako.
Un vaisseau d'Extalyne est prêt à décoller pour le sanatorium de la Base de L'Égrêt.
Sako :
— Je ne le connais pas… Je ne savais pas que sur cette Base désaffectée se trouvait…
Érik :
— Plaît-il…
Nous te demandons parfois de ne pas t'épuiser à vouloir apprendre, Sako… encore moins à comprendre.
Même au plus haut de la hiérarchie, se trouvent des espaces qui doivent nous rester inconnus.
Moi-même, je ne suis pas dans tous les secrets des consortiums.
La force d'un pouvoir réside dans la division mesurée des connaissances.
La part du mystère est notre assurance de longévité !
Sako :
— Ah… bien entendu.
C'est pour éviter que je sois manipulé.
Érik :
— Tu as tout compris.
Voilà.
Nous t'avons missionné pour offrir, notamment à Tomas ainsi qu'à ses proches en souffrance, les premières places.
Il y a quelques centaines de caissons à cryogène et nous laisserons aux plus compétents la gestion du voyage. C'est de notre part un geste très fort de conciliation car le coût de cette opération est énorme pour les consortiums.
Tout cela au nom de la Concorde signée suivant les exigences de Franch.
Nous savons respecter un engagement.
Que Yeph puisse y voir la marque loyale de notre considération.
Sako :
— Pourquoi agir ainsi avec eux ?
Yeph a déjà assez de libertés sur ses Zones Autonomes que je ferai bien disparaître un jour…
Les Bases aussi se réuniront tôt ou tard à l'autorité de votre grandeur… Il y a donc d'autres priorités que de s'occuper de la santé de Tomas.
Il y a suffisamment de handicapés à soigner dans la Cité… et vous offrez des lits à ceux des Bases et même un, spécialement à Tomas ?
Érik :
— Ta vision du monde m'impressionne toujours.
Il y a chez toi une autorité naturelle et ton analyse de la situation est pertinente.
Nous allons répondre à ta question si tu penses avoir la capacité de te taire !
Ta discrétion nous est primordiale.
Le Conseil a besoin d'être assuré de ta fidélité.
Sako :
— Ô, vous êtes l'Archyeur et j'ai foi en vos décisions.
Que tout l'Austrel soit pleinement convaincu de ma loyauté et de mon silence.
J'ai une parole et mon honneur.
Érik :
— Bien.
Sache que le fait d'offrir à Tomas les moyens de guérir n'est pas seulement un acte philanthropique.
Nous pensons bien entendu que Yeph est un personnage sordide et toxique dont nous devons au plus vite espérer la chute, pour le soigner enfin.
Voilà donc la décision du Haut Conseil : guérissons Tomas, et cela nous donnera une réelle ascendance sur Yeph !
Oui… il va retrouver son fol alter ego — soit — mais grâce à notre science !
Ils devront admettre que le fait d'ôter la greffe seconde était une erreur, et alors le peuple des Bases perdra confiance en ces usurpateurs, en ces escrocs manipulateurs…
Nous aurons en même temps une reconnaissance totale de Tomas à notre égard… et Yeph perdra beaucoup de sa mauvaise influence.
La paix entre les primaires des Bases et les citoyens greffés de la Cité est à ce prix.
Sako :
— Oui !
C'est formidable. Je comprends.
Cela n'a pas dû être simple à proposer au Grand Conseil de L'Austrel… et à soumettre au vote, notamment en raison des dépenses qu'il y avait à engager.
Bravo.
Je vais au plus vite préparer ce voyage.
Tomas en sera donc.
C'est en effet primordial pour assurer la Concorde.
Érik :
— C'est parfait Sako.
Si tu y parviens, pardon… comme tu sauras accomplir cette délicate mission, tu traceras ton nom en lettres d'or au tableau des honneurs de l'Austrel.
Sako :
— J'agis simplement pour le bien de tous.
— Ô Érik, vous m'avez demandé au plus vite.
Me voici.
Érik :
— Oui, Sako.
Un vaisseau d'Extalyne est prêt à décoller pour le sanatorium de la Base de L'Égrêt.
Sako :
— Je ne le connais pas… Je ne savais pas que sur cette Base désaffectée se trouvait…
Érik :
— Plaît-il…
Nous te demandons parfois de ne pas t'épuiser à vouloir apprendre, Sako… encore moins à comprendre.
Même au plus haut de la hiérarchie, se trouvent des espaces qui doivent nous rester inconnus.
Moi-même, je ne suis pas dans tous les secrets des consortiums.
La force d'un pouvoir réside dans la division mesurée des connaissances.
La part du mystère est notre assurance de longévité !
Sako :
— Ah… bien entendu.
C'est pour éviter que je sois manipulé.
Érik :
— Tu as tout compris.
Voilà.
Nous t'avons missionné pour offrir, notamment à Tomas ainsi qu'à ses proches en souffrance, les premières places.
Il y a quelques centaines de caissons à cryogène et nous laisserons aux plus compétents la gestion du voyage. C'est de notre part un geste très fort de conciliation car le coût de cette opération est énorme pour les consortiums.
Tout cela au nom de la Concorde signée suivant les exigences de Franch.
Nous savons respecter un engagement.
Que Yeph puisse y voir la marque loyale de notre considération.
Sako :
— Pourquoi agir ainsi avec eux ?
Yeph a déjà assez de libertés sur ses Zones Autonomes que je ferai bien disparaître un jour…
Les Bases aussi se réuniront tôt ou tard à l'autorité de votre grandeur… Il y a donc d'autres priorités que de s'occuper de la santé de Tomas.
Il y a suffisamment de handicapés à soigner dans la Cité… et vous offrez des lits à ceux des Bases et même un, spécialement à Tomas ?
Érik :
— Ta vision du monde m'impressionne toujours.
Il y a chez toi une autorité naturelle et ton analyse de la situation est pertinente.
Nous allons répondre à ta question si tu penses avoir la capacité de te taire !
Ta discrétion nous est primordiale.
Le Conseil a besoin d'être assuré de ta fidélité.
Sako :
— Ô, vous êtes l'Archyeur et j'ai foi en vos décisions.
Que tout l'Austrel soit pleinement convaincu de ma loyauté et de mon silence.
J'ai une parole et mon honneur.
Érik :
— Bien.
Sache que le fait d'offrir à Tomas les moyens de guérir n'est pas seulement un acte philanthropique.
Nous pensons bien entendu que Yeph est un personnage sordide et toxique dont nous devons au plus vite espérer la chute, pour le soigner enfin.
Voilà donc la décision du Haut Conseil : guérissons Tomas, et cela nous donnera une réelle ascendance sur Yeph !
Oui… il va retrouver son fol alter ego — soit — mais grâce à notre science !
Ils devront admettre que le fait d'ôter la greffe seconde était une erreur, et alors le peuple des Bases perdra confiance en ces usurpateurs, en ces escrocs manipulateurs…
Nous aurons en même temps une reconnaissance totale de Tomas à notre égard… et Yeph perdra beaucoup de sa mauvaise influence.
La paix entre les primaires des Bases et les citoyens greffés de la Cité est à ce prix.
Sako :
— Oui !
C'est formidable. Je comprends.
Cela n'a pas dû être simple à proposer au Grand Conseil de L'Austrel… et à soumettre au vote, notamment en raison des dépenses qu'il y avait à engager.
Bravo.
Je vais au plus vite préparer ce voyage.
Tomas en sera donc.
C'est en effet primordial pour assurer la Concorde.
Érik :
— C'est parfait Sako.
Si tu y parviens, pardon… comme tu sauras accomplir cette délicate mission, tu traceras ton nom en lettres d'or au tableau des honneurs de l'Austrel.
Sako :
— J'agis simplement pour le bien de tous.
[L'écran s'éteint.]
Franch :
— Où est le piège ?
Tomas :
— Ils veulent ouvertement lutter contre toi, Yeph… en m'utilisant.
Es-ce bien raisonnable ?
Franch :
— Il doit y avoir un piège…
Yeph :
— Oui, Franch !
Emma :
— Comment cela ?
Tu nous présentes cette visio en n'y croyant pas ?
Tomas :
— Explique-nous alors…
Yeph :
— L'Archyeur y croit, sincèrement…
Sako aussi… politiquement.
Arno est efficace ; j'ai réussi à le joindre directement. Il se sent prêt à tenter encore de nouvelles méthodes afin d’espérer restaurer — plus particulièrement chez Tomas — le cortex, en créant des liens nouveaux avec son affect.
Il est lui aussi dans notre quête d'une harmonie corps-cœur-esprit, pour parvenir à l'amour humain.
Tomas :
— Tu me proposes donc comme ultime cobaye pour assurer l'entéléchie…
Toujours à te persuader que notre âme est immortelle, tu tentes d'aller à sa source ?
Franch :
— C’est une tromperie manifeste.
Et toi, Yeph, tu cherches à te persuader du contraire… je te connais trop bien !
Ah, ce regard à la tristesse à peine voilée…
Où donc est la faille ?
Emma :
— Dis-nous ta préoccupation, Yeph…
Yeph :
— Hum…
J'ai pu assister — en toute discrétion — à de longues diatribes entre Frado et des frères de la Guilde.
Ils fomentent contre les projets humanistes de l'Archyeur, sous le prétexte classique de l'intérêt — de la rentabilité — de la recherche et du coût évalué…
Ils manigancent pour que l'Offryde échoue.
Le vaisseau d'Extalyne ne devrait jamais se matérialiser sur la Base de l'Égrêt.
Emma :
— Oh…
Pourquoi donc ?
Franch :
— Une idée sage d'économistes prévoyants.
Un accident où la mort s'annonce est beaucoup moins onéreux qu'une liste de malades inintéressants à soigner.
Les membres des Bases n'ont pas de mutuelles et leurs cartes vitales sont périmées.
Hop, tous morts… tout le monde est désolé… on s'excuse !
Les voici débarrassés de centaines de handicapés gênants pour la bonne image d'un peuple qui se veut sain.
Emma :
— C'est horrible.
Ils sont toujours dans cette vision trichée de la vie… de la mort.
Les guerres ne suffisent donc pas à réguler leur thésaurisation ?
Tomas :
— Bien…
Cher Yeph, tu m'invites donc à choisir ma mort, pensant que cette solution d’un beau voyage est plaisante ?
Yeph :
— Non, Tomas.
Je sais que là-bas, au sanatorium, Arno est efficace.
S’il n'y a pas de guérison possible, j’ai confiance en ses talents pour espérer un mieux.
Qui sait ?
Ralentir suffisamment le processus ou le stopper, pour te donner encore un peu de temps au plaisir ?
Qui oserait dire parmi nous que Tomas ne peut pas se restaurer ?
Personne ne sait…
Personne ne possède la vérité sur le futur.
Tomas pourrait-il aller mieux ?
Je me devais de te proposer cette offre ultime, bien que…
Franch :
— Alors que tu viens de nous expliquer que Frado…
Tomas :
— Oh… oublie ta colère, Franch !
Je comprends maintenant.
Oui, je me souviens, cher Yeph !
Avant le Grand Jour, nous étions déjà dans une situation similaire.
Notre séparation fut déchirante car tu ne pouvais m'emmener avec toi : nous aurions risqué d'être tous les deux kryfluxirés.
La vie devait être plus forte que la mort, parce que nous avons cru en l'amour.
Nous avions ensemble décidé de tenter d'espérer au-delà de l'horreur des camps du CEI.
Nous avons cru possible des retrouvailles futures malgré la greffe seconde, malgré la Rumeur : le fait que Yeph soit effacé de notre mémoire.
Et tu avais raison.
Yeph :
— Hélas, non puisque…
Tomas :
— Si.
Je t'ai retrouvé.
Cela suffit à ma joie.
Oui, mon ami, mon frère, mon amour… ta proposition nouvelle est si fragile et si belle !
Tu es davantage que moi sujet à l’angoisse.
Je le comprends, et cela me touche, comme je ne l'avais plus ressenti depuis si longtemps.
Je sais toujours l'amour merveilleux que tu me portes.
Je connais le prix des larmes.
J'ai trop souvent perçu la souffrance extrême que te causaient ma maladie dégénérative et ce retour où je ne puis plus être pleinement celui qui t'a aimé.
Yeph, je suis fier de saisir cette infime chance qui nous est offerte pour espérer nous retrouver cœur-corps-esprit.
— Où est le piège ?
Tomas :
— Ils veulent ouvertement lutter contre toi, Yeph… en m'utilisant.
Es-ce bien raisonnable ?
Franch :
— Il doit y avoir un piège…
Yeph :
— Oui, Franch !
Emma :
— Comment cela ?
Tu nous présentes cette visio en n'y croyant pas ?
Tomas :
— Explique-nous alors…
Yeph :
— L'Archyeur y croit, sincèrement…
Sako aussi… politiquement.
Arno est efficace ; j'ai réussi à le joindre directement. Il se sent prêt à tenter encore de nouvelles méthodes afin d’espérer restaurer — plus particulièrement chez Tomas — le cortex, en créant des liens nouveaux avec son affect.
Il est lui aussi dans notre quête d'une harmonie corps-cœur-esprit, pour parvenir à l'amour humain.
Tomas :
— Tu me proposes donc comme ultime cobaye pour assurer l'entéléchie…
Toujours à te persuader que notre âme est immortelle, tu tentes d'aller à sa source ?
Franch :
— C’est une tromperie manifeste.
Et toi, Yeph, tu cherches à te persuader du contraire… je te connais trop bien !
Ah, ce regard à la tristesse à peine voilée…
Où donc est la faille ?
Emma :
— Dis-nous ta préoccupation, Yeph…
Yeph :
— Hum…
J'ai pu assister — en toute discrétion — à de longues diatribes entre Frado et des frères de la Guilde.
Ils fomentent contre les projets humanistes de l'Archyeur, sous le prétexte classique de l'intérêt — de la rentabilité — de la recherche et du coût évalué…
Ils manigancent pour que l'Offryde échoue.
Le vaisseau d'Extalyne ne devrait jamais se matérialiser sur la Base de l'Égrêt.
Emma :
— Oh…
Pourquoi donc ?
Franch :
— Une idée sage d'économistes prévoyants.
Un accident où la mort s'annonce est beaucoup moins onéreux qu'une liste de malades inintéressants à soigner.
Les membres des Bases n'ont pas de mutuelles et leurs cartes vitales sont périmées.
Hop, tous morts… tout le monde est désolé… on s'excuse !
Les voici débarrassés de centaines de handicapés gênants pour la bonne image d'un peuple qui se veut sain.
Emma :
— C'est horrible.
Ils sont toujours dans cette vision trichée de la vie… de la mort.
Les guerres ne suffisent donc pas à réguler leur thésaurisation ?
Tomas :
— Bien…
Cher Yeph, tu m'invites donc à choisir ma mort, pensant que cette solution d’un beau voyage est plaisante ?
Yeph :
— Non, Tomas.
Je sais que là-bas, au sanatorium, Arno est efficace.
S’il n'y a pas de guérison possible, j’ai confiance en ses talents pour espérer un mieux.
Qui sait ?
Ralentir suffisamment le processus ou le stopper, pour te donner encore un peu de temps au plaisir ?
Qui oserait dire parmi nous que Tomas ne peut pas se restaurer ?
Personne ne sait…
Personne ne possède la vérité sur le futur.
Tomas pourrait-il aller mieux ?
Je me devais de te proposer cette offre ultime, bien que…
Franch :
— Alors que tu viens de nous expliquer que Frado…
Tomas :
— Oh… oublie ta colère, Franch !
Je comprends maintenant.
Oui, je me souviens, cher Yeph !
Avant le Grand Jour, nous étions déjà dans une situation similaire.
Notre séparation fut déchirante car tu ne pouvais m'emmener avec toi : nous aurions risqué d'être tous les deux kryfluxirés.
La vie devait être plus forte que la mort, parce que nous avons cru en l'amour.
Nous avions ensemble décidé de tenter d'espérer au-delà de l'horreur des camps du CEI.
Nous avons cru possible des retrouvailles futures malgré la greffe seconde, malgré la Rumeur : le fait que Yeph soit effacé de notre mémoire.
Et tu avais raison.
Yeph :
— Hélas, non puisque…
Tomas :
— Si.
Je t'ai retrouvé.
Cela suffit à ma joie.
Oui, mon ami, mon frère, mon amour… ta proposition nouvelle est si fragile et si belle !
Tu es davantage que moi sujet à l’angoisse.
Je le comprends, et cela me touche, comme je ne l'avais plus ressenti depuis si longtemps.
Je sais toujours l'amour merveilleux que tu me portes.
Je connais le prix des larmes.
J'ai trop souvent perçu la souffrance extrême que te causaient ma maladie dégénérative et ce retour où je ne puis plus être pleinement celui qui t'a aimé.
Yeph, je suis fier de saisir cette infime chance qui nous est offerte pour espérer nous retrouver cœur-corps-esprit.
Je t'offrirai la lune
Et mon jardin d'étoiles
Où tu sauras toi-même
Accrocher pour toujours
Celle qui sera guide :
Une vive lumière en ces jours de ténèbres...
Et s'il te faut encore
Un soleil à la nuit,
Laisse moi te donner
Un goût de liberté.
Et mon jardin d'étoiles
Où tu sauras toi-même
Accrocher pour toujours
Celle qui sera guide :
Une vive lumière en ces jours de ténèbres...
Et s'il te faut encore
Un soleil à la nuit,
Laisse moi te donner
Un goût de liberté.
Emma :
— Malgré tout ce qui se fomente entre la Guilde et les consortiums — sans que l'Archyeur et même l'Austrel, ne soient dans la confidence — il y a en effet encore un possible de voir l'Offryde réussir… et te permettre, peut-être, une restauration auprès d'Arno.
Je l’espère.
Tomas :
— Je n'y compte pas trop !
Yeph :
— J'aimerais tant…
Emma :
— Croire ou ne pas croire[i] ?
[i] Merci à Antoine de SAINT-EXUPÉRY, pour m'avoir ouvert à la question sur le départ du petit prince, voulant retrouver sa petite planète…
Y est-il retourné ?
Voici un extrait des « Petites réflexions concrètes sur l'inexistence de l'Être Humain » par Yves Philippe de FRANCQUEVILLE, sur ce sujet délicat :
« “Croire” et “ne pas croire”… C’est être le pilote après le départ du Petit Prince : soit je suis heureux en regardant les étoiles, parce que je sais qu’il est sur l’une d’elles, soit je suis malheureux en ne regardant plus les étoiles, parce que je sais qu’il n’y est pas. ».
— Malgré tout ce qui se fomente entre la Guilde et les consortiums — sans que l'Archyeur et même l'Austrel, ne soient dans la confidence — il y a en effet encore un possible de voir l'Offryde réussir… et te permettre, peut-être, une restauration auprès d'Arno.
Je l’espère.
Tomas :
— Je n'y compte pas trop !
Yeph :
— J'aimerais tant…
Emma :
— Croire ou ne pas croire[i] ?
[i] Merci à Antoine de SAINT-EXUPÉRY, pour m'avoir ouvert à la question sur le départ du petit prince, voulant retrouver sa petite planète…
Y est-il retourné ?
Voici un extrait des « Petites réflexions concrètes sur l'inexistence de l'Être Humain » par Yves Philippe de FRANCQUEVILLE, sur ce sujet délicat :
« “Croire” et “ne pas croire”… C’est être le pilote après le départ du Petit Prince : soit je suis heureux en regardant les étoiles, parce que je sais qu’il est sur l’une d’elles, soit je suis malheureux en ne regardant plus les étoiles, parce que je sais qu’il n’y est pas. ».
Yves Philippe de Francqueville pirate des mots et philanalyste en herbe, présente le quatrième et dernier tome du Cycle de l'Austrel : la Mort de l'Archyeur.
Troisième partie.
Toute phrase sortie de son contexte pour polémiquer, serait une bassesse journalistique de plus…
Tous droits réservés ©.
Troisième partie.
Toute phrase sortie de son contexte pour polémiquer, serait une bassesse journalistique de plus…
Tous droits réservés ©.
Auteur : Yves Philippe de Francqueville