Contes de Moelle, écrits de Yves Philippe de Francqueville… tous droits réservés.
Rapport d'analyse ?
Extrait récupéré
et traduit
dans un enregistrement
réalisé par le satellite
Audial 12.043.
U.T.V. 1643.
(...)
Professeur BLUCHÈRE :
- …Voilà, docteur Noly, la nuit dernière, je rêvais de nouveau à cette étrange petite planète.
Docteur NOLY :
- Ah, professeur Bluchère, votre visite m'est précieuse.
Prenez place sur ce divan et contez-moi tout cela.
Professeur BLUCHÈRE :
- Vous le savez, nous sommes normalement dans un univers fini, circonscrit par notre groupe de savants.
Je suis élue depuis déjà trois cycles, la responsable de cette étude.
Docteur NOLY :
- Tout à fait.
C’est pour moi d’ailleurs un honneur que de vous recevoir dans ce bureau.
Professeur BLUCHÈRE :
- Et bien, figurez-vous ; nous avons réussi enfin à répertorier d'une manière approximative 264 milliards 437 millions 324 mille 895 ou 897 planètes possédant une atmosphère similaire à la nôtre. De plus, elles ont en puissance ou en acte, des systèmes de vie compatibles.
Docteur NOLY :
- C’est tout simplement prodigieux !
Vous pensez cependant avoir cerné la totalité des cieux ?
Professeur BLUCHÈRE :
- Bien entendu !
Cette étude était trop importante pour oser omettre le moindre recoin de l'univers.
Le Centre d’Ethique ne nous alloue pas un budget colossal pour un travail superficiel !
Docteur NOLY :
- Alors, expliquez-moi votre problème.
Professeur BLUCHÈRE :
- C'est ce même rêve revenant chaque nuit.
Comme si l'on me parlait par hypnose, ou serait-ce alors un murmure, dans le creux de l'oreille ?
C’est l’histoire d’une toute petite planète où vivraient des êtres…
Docteur NOLY :
- Dans un système qui figure bien dans votre liste…
Professeur BLUCHÈRE :
- Cela aussi complique ma situation !
Docteur NOLY :
- Je pense que vous devriez développer plus précisément votre rêve…
Professeur BLUCHÈRE :
- Merci de m’en donner le temps !
Cette petite planète, non comptabilisée croyez-moi, existerait peut-être hors des logiques de notre monde avec un espace qui lui est propre : sans entrer dans des règles figées donnant raison à des exceptions. Non, là c’est juste une approche différente de la vie !
Cela semble déjà complexe, soit, mais au-delà de ma réflexion s’ouvre une dimension nouvelle : le fait que malgré le principe établi de l'évolution, une conception autre se présente. Alors des êtres pourraient vivre eux-mêmes autrement, en liberté, avec des modes de pensées non gérables…
J’en serais donc à déduire que si cette petite planète existe, la définition actuelle de notre propre monde est à visiter sous un nouveau regard.
Nous serions obligés par cette découverte, de remettre en cause la totalité de notre gestion, que j’annonce hypothétique, des principes cérébraux !
Oui, imaginez-vous alors qu’il y ait bien la possibilité de vies dans des conditions différentes, par rapport aux normes classiques ?
Docteur NOLY :
- C’est-à-dire ?
Professeur BLUCHÈRE :
- Docteur c'est incompréhensible, et pour nos esprits si rationnels, cela nous définirait comme malades !
Nos ordinateurs n'ont jamais été capables d’émettre ne serait-ce qu'une hypothèse à mes propos fous !
C’est une découverte qui bouleverserait tout entendement.
Ouvrir une brèche dans un système achevé proposant une vie autre, cela m’oblige maintenant à penser différemment.
Docteur NOLY :
- Hum…
Professeur BLUCHÈRE :
- Oui !
Si je puis aujourd’hui songer ce qui ne serait pas dans notre simple logique, c’est que la possibilité de notre esprit s’avèrerait alors multiple…
Je m’ouvre donc naturellement à une réflexion sur l’existence du possible différent : des individus Hors Normalités !
Docteur NOLY :
- Expliquez-moi, chère Madame.
Vous me parlez d’anormalité ?
C’est assez commun et très logique en fait, de voir au travers de la création, des erreurs, des monstres, qui sont généralement impropres à la vie.
Ce n’est pas un miracle de les voir naître, mais plutôt une abomination…
Professeur BLUCHÈRE :
- Non, non, non… Ce n’est pas de cela qu’il me faut parler !
C’est beaucoup plus complexe. Ces êtres ne seraient pas différents : ils sont autres !
Je n’ai pas à m’encombrer l’esprit avec des mutants ou des dégénérés !
Ce sont bien des êtres “autres”.
Docteur NOLY :
- Autres, comment ?
Professeur BLUCHÈRE :
- C’est bien là mon angoisse terrible !
Ils le seraient, d’un nombre indéfini de manières…
Docteur NOLY :
- Infini.
D’un nombre infini de manières.
Je pense que c’est bien ce mot que vous souhaitiez prononcer.
Ce lapsus semble très significatif de votre souffrance actuelle.
Nous sommes entre savants. Il n’existe, en notre monde, que le mode binaire… Ce que nous ne savons pas n’est pas encore trouvé.
L’infini est une étape nécessaire pour arriver enfin à la connaissance. L’indéfini est une erreur d’interprétation liée le plus souvent à un refus ou une plutôt incapacité de compréhension.
Professeur BLUCHÈRE :
- Hélas. C’est bien pourtant le terme indéfini qui bouscule mon esprit !
C’est l’idée de ne pas pouvoir nécessairement avoir la connaissance d’une réalité qui dépasserait la logique de nos civilisations !
Docteur NOLY :
- Ne pas savoir est impossible !
Nous avons à ce jour les ordinateurs les plus puissants, et nos savants sont parfaits.
Nous savons ou nous saurons.
Professeur BLUCHÈRE :
- Hier encore, c’était mon évangile !
Aujourd’hui, Docteur, je doute !
Docteur NOLY :
- Mais c’est très grave.
Il ne faut rien en dire, car le Centre vous isolerait aussitôt !
Vous !
Un des piliers de nos certitudes…
Je suis autant bouleversé qu’inquiet.
Poursuivez votre explication afin que je puisse cerner la source de vos maux.
Je trouverai !
Professeur BLUCHÈRE :
- Ah !
Plaise à vous de m’écouter sans juger…
Ces individus, qu’il me plaît de nommer “Hors Normalités”, sans saisir réellement le sens profond de ce terme, n’obéissent pas à nos règles établies.
Ils ne sont cependant pas hors-les-lois !
Ils n’adhèrent ni ne luttent contre un système ou des idées ; ils sont, comment pourrais-je dire, “à côté” de tout…
Leur morale n’est pas conforme à la nôtre, sans être immoraux, ils sont plutôt amoraux.
Ils ont des valeurs sans avoir de morale !
Ils n'ont pas de honte, de peurs…
Je les perçois davantage comme avec des règles de vie qu’ils sont en mesure de modifier à tout moment pour se fondre dans un paysage dont ils ne sont ni maîtres, ni dieux…
Ils peuvent être dans notre monde, sans être de notre monde !
Docteur NOLY :
- Vous me terrifiez, professeur !
À vous entendre, ils seraient donc bien au-delà de cette petite planète… jusque chez nous peut-être…
Nous ressemblent-ils ?
Professeur BLUCHÈRE :
- C’est possible, et c’est aussi imaginable qu’ils soient totalement différents !
Ils pourraient ainsi jaillir à tout moment des corps comme des esprits…
Docteur NOLY :
- Physiquement ?
Professeur BLUCHÈRE :
- Oui, et parfois non peut-être !
Docteur NOLY :
- Je ne vois pas en vous d’état délirant.
Cependant, il y a une incohérence totale dans vos propos : plus rien de rationnel dans cette démonstration !
Professeur, où se situerait la ou les “différences” trouvées chez ces sujets non répertoriés par le Centre d’Éthique ?
Est-ce en fait simplement une race nouvelle?
Professeur BLUCHÈRE :
- Non !
C’est là où je trouve la découverte formidable !
Ils sont partout et nulle part !
Pas de classement, de case, de boîte !
Chacun de ces êtres serait unique, comme le serait cette petite planète.
Docteur NOLY :
- Oh, vous m’inquiétez sérieusement…
Professeur BLUCHÈRE :
- Attendez un peu et écoutez-moi encore…
Ils peuvent se différencier à tous les niveaux imaginables ou non de nos idées.
Ma première recherche était sur la forme : la logique restait presque respectée…
Docteur NOLY :
- Nous parlerions de “mutation”, pour ne pas dire, “d’évolution spontanée”.
Professeur BLUCHÈRE :
- Non.
Cela n’est pas nécessairement transmissible par les gènes…
Docteur NOLY :
- Alors, c’est une anomalie fugace !
Professeur BLUCHÈRE :
- Je pense être suffisamment sérieuse dans mes recherches pour ne pas vous importuner avec des pseudo-trouvailles de ce genre !
Ces êtres sont au-delà de tout entendement.
Ils diffèrent tantôt par l’esprit, parfois par le corps, souvent par le cœur… mais ils peuvent aussi jaillir de tout cela, et parfois de rien encore !
Ah…
C’est pour moi une libération totale, que de vous confier cette extraordinaire découverte…
Docteur NOLY :
- Je pense avoir légèrement décroché…
Peut-être est-il préférable d’arrêter la séance pour aujourd’hui…
Professeur BLUCHÈRE :
- Non, Docteur.
Cette fois, c’est moi qui ai vraiment besoin de vous !
Vous devez tenter de comprendre ce qui m’arrive : c’est un bouleversement merveilleux de mon existence.
Je vous ai toujours fait confiance.
Aidez-moi !
Docteur NOLY :
- J’entends. J’entends.
Certes, il peut nous arriver, dans certaines circonstances précises, des transformations, des maladies, des pertes de sens, que la science explique et restaure toujours.
Vos cauchemars sont certainement liés à une surcharge de responsabilités…
Professeur BLUCHÈRE :
- S’il vous plaît.
Essayez au moins de m’écouter.
C’est aussi pour cela que je vous paie !
Alors, oui, il me faut, me doit enfin de vous l’exprimer : j’ai par ces rêves répétés, pris conscience que je suis moi-même Hors Normalités…
Docteur NOLY :
- Il vous est poussé un troisième sein ?
Professeur BLUCHÈRE :
- C’est vrai.
Que je suis stupide… Vous ne pouvez pas comprendre !
Docteur NOLY :
- Pardonnez-moi cet humour déplacé.
Oubliez : c’était une tentative vaine et ridicule d’échapper à une réalité angoissante…
Finalement, vous me vexez davantage que vous ne m’inquiétez !
Cela ne m’amuse plus du tout.
Revenez, je vous en prie, à la raison.
Nos supérieurs seraient furieux d’entendre de tels propos.
Dites-moi ce que vous avez consommé sans modération…
Professeur BLUCHÈRE :
- Docteur, la situation a changé.
Ma conscience n’est pas altérée.
Je sais juste maintenant que je ne suis pas, que je n’ai jamais été “binaire”…
Docteur NOLY :
- Nous sommes tous binaires !
Professeur BLUCHÈRE :
- Oui et non.
Tous les êtres sont binaires, dans la normalité.
Et puis il y aurait les autres : on leur fait croire, on les persuade… c’est un vrai massacre… Mais les binaires ne sont pas responsables de cette destruction car ils n’ont pas conscience de notre existence.
Ils sont donc juste coupables !
Docteur NOLY :
- Coupables ?
Pourquoi, s’ils ne savent pas ?
C’est comme si vous accusiez quelqu’un d’être maladroit !
Professeur BLUCHÈRE :
- Oui.
La maladresse est souvent plus destructrice et moins excusable que la colère.
Il est possible parfois de raisonner, même de comprendre et aussi de trouver des circonstances atténuantes à un être en guerre… sans pour autant être en accord avec ses actes, encore moins l’admirer !
Alors qu’une personne, non soucieuse de s’instruire ou d’apprendre, vivant dans une ignorance crasse, peut être l’auteur de catastrophes que je ne pardonnerai pas nécessairement.
Avec cette étude, je pense que les êtres Hors Normalités se différencient notamment des binaires, par une fragilité certaine.
Aux yeux des rationnels, rarement vivants, parfois survivants, souvent “sous-vivants” il y a impossibilité de concevoir que des êtres peuvent être “multi-possibilités”, ou mieux : “pluri-possibilités”.
Docteur NOLY :
- Des individus dont la pensée serait “autre”, donc non rationnelle ?
Professeur BLUCHÈRE :
- Où tout chez eux, pourrait ne pas être rationnel !
Le corps, aussi, le cœur, comme la gestion et la compréhension de l’espace et du temps… bien loin de nos propres notions préétablies par nos chercheurs dont je suis, dont j’étais…
Docteur NOLY :
- Folie…
Folie !
De telles réflexions sont l’ébauche d’un programme de fin du monde.
Je devrais vous contraindre à rejeter de votre esprit cette aberration…
Il me faudrait naturellement vous dénoncer à nos pairs… Cependant au lieu de cela, il n’y a plus de colère… pas même de déception : me voici juste bouleversé.
Vous remuez maintenant, au plus fort de mon être, des mécanismes semblant enfouis depuis toujours.
Professeur BLUCHÈRE :
- Vous voulez dire que…
Docteur NOLY :
- Oui, Professeur.
Oui.
C’est probablement exact !
C’est certainement vraisemblable…
J’ai maintenant, grâce à vos propos, la conscience de vos convictions : qu’il est en ce monde et certainement ailleurs, des êtres Hors Normalités, dont nous sommes…
Professeur BLUCHÈRE :
- J’en étais convaincue depuis toujours sans oser vous en parler
Merci Docteur. Merci infiniment !
C’est, je crois, pour cela que j’ai réussi depuis déjà quelques cycles, à prendre rendez-vous dans votre bureau.
J’avais à juste titre confiance en vous sans savoir exactement l’importance de ma démarche, et tout en mesurant cependant le danger.
Rien ne nous confond nécessairement.
Pas de signes, d’idées, de marques ou de pensées communes !
Les êtres, comme nous, ont pour unité le fait de ne pas en avoir : de pouvoir se trouver en dehors d’un système, d’une idée… d’une norme !
Docteur NOLY :
- Bien entendu…
C’était là que je plaçais en secret les personnes qui n’entraient pas dans les grilles et les cases présupposées de nos civilisations.
Mon bureau s’ouvrait de plus en plus pour les rencontrer, tout en pleurant sur ma solitude !
Je situais ces êtres comme des questions en attente, dans l’espoir de pouvoir un jour les réunir, sans percevoir finalement le lien que vous m’offrez aujourd’hui. Trouver enfin celle ou celui qui me ressemblerait par cette unicité !
Aussi, je me plaçais en danger par cette disposition qui n’était pas conforme aux règles de ma profession !
Mon excuse était que chacun de ces individus avait une case propre, attendant d’être rejoint par un similaire, dans la logique de notre système…
Professeur BLUCHÈRE :
- Nous ne nous sommes pas connus par hasard.
Nous méritons chacune de nos rencontres.
Je suis convaincu que ce qui nous permet l’effort et l’audace de la rencontre est lié à un de ces rares points qui sauraient nous rapprocher : le fait de penser différemment, de songer autrement !
Je comprends maintenant que notre manière de saisir l’autre, nous révèle et rend notre état moins fragile face à un isolement insupportable.
Docteur NOLY :
- Tout à fait, car cela nous offre une certaine volonté qui ne semble pas exister chez l’être binaire.
Nous agissons davantage en quête du plaisir, libres de tout désir ; eux sont le plus souvent prisonniers d’une autorité recherchée ou imposée.
Ils sont mus par envies, contraintes, peurs, qui les lient de fait à la violence, dans l’angoisse d’une notion préétablie de bien et de mal, ou l’obsession d’une récompense.
Chez nous, la recherche parfois désespérante de notre existence, se situe dans la soif d’apprendre : tout est donc possible !
Sentir, ressentir, aimer, vibrer… tout saurait donner à l’autre une possibilité d’être en dehors de la norme.
Professeur BLUCHÈRE :
- Splendide !
Je me découvre enfin une raison de vivre : aller à la recherche, à travers l’univers, d’êtres qui ne sont pas de ces moutons d’un troupeau.
Docteur NOLY :
- Attention !
Ne méprisez personne.
Les races se perpétuent grâce à eux. Nous sommes trop complexes ou trop blessés pour parfois penser aux civilisations que nous traversons.
C’est aussi par la norme que naissent les hors normes !
Professeur BLUCHÈRE :
- Merci. Vous avez raison d’insister sur ce fait.
Se croire supérieurs nous laisse entrer de nouveau dans un système et massacre en nous les forces qui nous construisent !
Docteur NOLY :
- Nous ne gérons pas nécessairement l’énergie qui nous anime. Il faut vous en souvenir, et je dois vous le rappeler de nouveau : comme les notions de bien et de mal ne nous appartiennent pas, nous sommes libres de construire ou de détruire, sans saisir parfois la souffrance des mondes que nous croisons !
Professeur BLUCHÈRE :
- C’est vrai : le cri de la poire que l’on croque est peut-être aussi réel que la souffrance du mouton conduit à l’abattoir, ou la colère de l’embryon avorté…
Docteur NOLY :
- Notre Hors Normalités devrait nous inviter à toujours plus d’attention, de sensibilité, plutôt qu'à poursuivre des vengeances injustes ou de vaines missions.
Professeur BLUCHÈRE :
- C’est aussi cependant notre droit de rechercher le sens d’une existence propre en considérant qu’une cause sans principe logique ou réaliste peut être la nôtre !
Ce n’est pas parce que quelques rêves sont impensables en ce monde qu’ils nous en seraient interdit à la quête !
Docteur NOLY :
- En effet, face à une action semblant irréalisable aux yeux de certains, il est peut-être juste pour nous de commencer à l’entreprendre…
Nous ne savons toujours pas, malgré toutes vos recherches et celles de vos savants, où nous sommes et depuis quand le temps gère notre espace !
Cet univers, dans lequel nos planètes se meuvent, est où… et dans quoi… sans même poser la question du pourquoi ou du comment.
Il y a réellement quelque chose d’absurde dans notre vie. Je pourrais y mettre un terme, si je n’avais, pour espoir, quelques plaisirs à la rencontre…
J’ai toujours essayé de saisir ma peur pour m’assurer d’aller au-delà de cette peur afin de jouer une vie !
Professeur BLUCHÈRE :
- C’est le lot de notre illusion de la réalité.
Comprendre nos peurs pour ne plus en avoir peur, par la recherche généalogique de ses origines.
Jour après jour, des êtres poursuivent l’idée de non-être. Ils donnent naissance à une progéniture qui prendra sens à travers une souffrance liée à cette peur notamment de la peur de la mort… sans imaginer qu’ils ne vivent peut-être pas !
Docteur NOLY :
- Nous avons alors un pouvoir terrible !
Professeur BLUCHÈRE :
- Hélas…
Docteur NOLY :
- C’est merveilleux cependant, si nous osons éveiller la vie à cette absurdité de penser, aux yeux des binaires, que nous n’avons pas de réalité.
Professeur BLUCHÈRE :
- Expliquez-moi !
Docteur NOLY :
- Au-delà de la procréation, il y aurait la création : jaillissement du néant de notre propre être, dans le néant de cet univers…
Du néant au néant : voilà notre existence !
Nous pourrions à chaque instant donner naissance et connaissance : la recherche absurde et inutile du beau selon les normes établies de cette sensibilité non comestible.
Voilà donc un plaisir réservé à l’individu qui prend enfin conscience que demain n’est pas, comme le mensonge traduit par hier.
Nous pouvons vivre ainsi hors “espace-temps”.
Professeur BLUCHÈRE :
- C’est pour cela que cette pensée se limitait au droit des dieux…
Docteur NOLY :
- Nous sommes alors dans un jeu extrêmement dangereux pour les mondes où nous passons…
Prendre conscience de n’avoir ni dieux ni maîtres inquiéterait les instances dirigeantes, persuadées d’être tôt ou tard remplacées par nous !
Professeur BLUCHÈRE :
- Oh que non !
Que faire d’un pouvoir illusoire… Je préfère ma liberté vagabonde à la chaîne dorée d’une responsabilité contraignante !
D’ailleurs, je n’en peux plus de ce poste au Centre. Je vais donner ma démission pour consacrer mon temps aux plaisirs de la rencontre et de la recherche !
Professeur BLUCHÈRE :
- …Voilà, docteur Noly, la nuit dernière, je rêvais de nouveau à cette étrange petite planète.
Docteur NOLY :
- Ah, professeur Bluchère, votre visite m'est précieuse.
Prenez place sur ce divan et contez-moi tout cela.
Professeur BLUCHÈRE :
- Vous le savez, nous sommes normalement dans un univers fini, circonscrit par notre groupe de savants.
Je suis élue depuis déjà trois cycles, la responsable de cette étude.
Docteur NOLY :
- Tout à fait.
C’est pour moi d’ailleurs un honneur que de vous recevoir dans ce bureau.
Professeur BLUCHÈRE :
- Et bien, figurez-vous ; nous avons réussi enfin à répertorier d'une manière approximative 264 milliards 437 millions 324 mille 895 ou 897 planètes possédant une atmosphère similaire à la nôtre. De plus, elles ont en puissance ou en acte, des systèmes de vie compatibles.
Docteur NOLY :
- C’est tout simplement prodigieux !
Vous pensez cependant avoir cerné la totalité des cieux ?
Professeur BLUCHÈRE :
- Bien entendu !
Cette étude était trop importante pour oser omettre le moindre recoin de l'univers.
Le Centre d’Ethique ne nous alloue pas un budget colossal pour un travail superficiel !
Docteur NOLY :
- Alors, expliquez-moi votre problème.
Professeur BLUCHÈRE :
- C'est ce même rêve revenant chaque nuit.
Comme si l'on me parlait par hypnose, ou serait-ce alors un murmure, dans le creux de l'oreille ?
C’est l’histoire d’une toute petite planète où vivraient des êtres…
Docteur NOLY :
- Dans un système qui figure bien dans votre liste…
Professeur BLUCHÈRE :
- Cela aussi complique ma situation !
Docteur NOLY :
- Je pense que vous devriez développer plus précisément votre rêve…
Professeur BLUCHÈRE :
- Merci de m’en donner le temps !
Cette petite planète, non comptabilisée croyez-moi, existerait peut-être hors des logiques de notre monde avec un espace qui lui est propre : sans entrer dans des règles figées donnant raison à des exceptions. Non, là c’est juste une approche différente de la vie !
Cela semble déjà complexe, soit, mais au-delà de ma réflexion s’ouvre une dimension nouvelle : le fait que malgré le principe établi de l'évolution, une conception autre se présente. Alors des êtres pourraient vivre eux-mêmes autrement, en liberté, avec des modes de pensées non gérables…
J’en serais donc à déduire que si cette petite planète existe, la définition actuelle de notre propre monde est à visiter sous un nouveau regard.
Nous serions obligés par cette découverte, de remettre en cause la totalité de notre gestion, que j’annonce hypothétique, des principes cérébraux !
Oui, imaginez-vous alors qu’il y ait bien la possibilité de vies dans des conditions différentes, par rapport aux normes classiques ?
Docteur NOLY :
- C’est-à-dire ?
Professeur BLUCHÈRE :
- Docteur c'est incompréhensible, et pour nos esprits si rationnels, cela nous définirait comme malades !
Nos ordinateurs n'ont jamais été capables d’émettre ne serait-ce qu'une hypothèse à mes propos fous !
C’est une découverte qui bouleverserait tout entendement.
Ouvrir une brèche dans un système achevé proposant une vie autre, cela m’oblige maintenant à penser différemment.
Docteur NOLY :
- Hum…
Professeur BLUCHÈRE :
- Oui !
Si je puis aujourd’hui songer ce qui ne serait pas dans notre simple logique, c’est que la possibilité de notre esprit s’avèrerait alors multiple…
Je m’ouvre donc naturellement à une réflexion sur l’existence du possible différent : des individus Hors Normalités !
Docteur NOLY :
- Expliquez-moi, chère Madame.
Vous me parlez d’anormalité ?
C’est assez commun et très logique en fait, de voir au travers de la création, des erreurs, des monstres, qui sont généralement impropres à la vie.
Ce n’est pas un miracle de les voir naître, mais plutôt une abomination…
Professeur BLUCHÈRE :
- Non, non, non… Ce n’est pas de cela qu’il me faut parler !
C’est beaucoup plus complexe. Ces êtres ne seraient pas différents : ils sont autres !
Je n’ai pas à m’encombrer l’esprit avec des mutants ou des dégénérés !
Ce sont bien des êtres “autres”.
Docteur NOLY :
- Autres, comment ?
Professeur BLUCHÈRE :
- C’est bien là mon angoisse terrible !
Ils le seraient, d’un nombre indéfini de manières…
Docteur NOLY :
- Infini.
D’un nombre infini de manières.
Je pense que c’est bien ce mot que vous souhaitiez prononcer.
Ce lapsus semble très significatif de votre souffrance actuelle.
Nous sommes entre savants. Il n’existe, en notre monde, que le mode binaire… Ce que nous ne savons pas n’est pas encore trouvé.
L’infini est une étape nécessaire pour arriver enfin à la connaissance. L’indéfini est une erreur d’interprétation liée le plus souvent à un refus ou une plutôt incapacité de compréhension.
Professeur BLUCHÈRE :
- Hélas. C’est bien pourtant le terme indéfini qui bouscule mon esprit !
C’est l’idée de ne pas pouvoir nécessairement avoir la connaissance d’une réalité qui dépasserait la logique de nos civilisations !
Docteur NOLY :
- Ne pas savoir est impossible !
Nous avons à ce jour les ordinateurs les plus puissants, et nos savants sont parfaits.
Nous savons ou nous saurons.
Professeur BLUCHÈRE :
- Hier encore, c’était mon évangile !
Aujourd’hui, Docteur, je doute !
Docteur NOLY :
- Mais c’est très grave.
Il ne faut rien en dire, car le Centre vous isolerait aussitôt !
Vous !
Un des piliers de nos certitudes…
Je suis autant bouleversé qu’inquiet.
Poursuivez votre explication afin que je puisse cerner la source de vos maux.
Je trouverai !
Professeur BLUCHÈRE :
- Ah !
Plaise à vous de m’écouter sans juger…
Ces individus, qu’il me plaît de nommer “Hors Normalités”, sans saisir réellement le sens profond de ce terme, n’obéissent pas à nos règles établies.
Ils ne sont cependant pas hors-les-lois !
Ils n’adhèrent ni ne luttent contre un système ou des idées ; ils sont, comment pourrais-je dire, “à côté” de tout…
Leur morale n’est pas conforme à la nôtre, sans être immoraux, ils sont plutôt amoraux.
Ils ont des valeurs sans avoir de morale !
Ils n'ont pas de honte, de peurs…
Je les perçois davantage comme avec des règles de vie qu’ils sont en mesure de modifier à tout moment pour se fondre dans un paysage dont ils ne sont ni maîtres, ni dieux…
Ils peuvent être dans notre monde, sans être de notre monde !
Docteur NOLY :
- Vous me terrifiez, professeur !
À vous entendre, ils seraient donc bien au-delà de cette petite planète… jusque chez nous peut-être…
Nous ressemblent-ils ?
Professeur BLUCHÈRE :
- C’est possible, et c’est aussi imaginable qu’ils soient totalement différents !
Ils pourraient ainsi jaillir à tout moment des corps comme des esprits…
Docteur NOLY :
- Physiquement ?
Professeur BLUCHÈRE :
- Oui, et parfois non peut-être !
Docteur NOLY :
- Je ne vois pas en vous d’état délirant.
Cependant, il y a une incohérence totale dans vos propos : plus rien de rationnel dans cette démonstration !
Professeur, où se situerait la ou les “différences” trouvées chez ces sujets non répertoriés par le Centre d’Éthique ?
Est-ce en fait simplement une race nouvelle?
Professeur BLUCHÈRE :
- Non !
C’est là où je trouve la découverte formidable !
Ils sont partout et nulle part !
Pas de classement, de case, de boîte !
Chacun de ces êtres serait unique, comme le serait cette petite planète.
Docteur NOLY :
- Oh, vous m’inquiétez sérieusement…
Professeur BLUCHÈRE :
- Attendez un peu et écoutez-moi encore…
Ils peuvent se différencier à tous les niveaux imaginables ou non de nos idées.
Ma première recherche était sur la forme : la logique restait presque respectée…
Docteur NOLY :
- Nous parlerions de “mutation”, pour ne pas dire, “d’évolution spontanée”.
Professeur BLUCHÈRE :
- Non.
Cela n’est pas nécessairement transmissible par les gènes…
Docteur NOLY :
- Alors, c’est une anomalie fugace !
Professeur BLUCHÈRE :
- Je pense être suffisamment sérieuse dans mes recherches pour ne pas vous importuner avec des pseudo-trouvailles de ce genre !
Ces êtres sont au-delà de tout entendement.
Ils diffèrent tantôt par l’esprit, parfois par le corps, souvent par le cœur… mais ils peuvent aussi jaillir de tout cela, et parfois de rien encore !
Ah…
C’est pour moi une libération totale, que de vous confier cette extraordinaire découverte…
Docteur NOLY :
- Je pense avoir légèrement décroché…
Peut-être est-il préférable d’arrêter la séance pour aujourd’hui…
Professeur BLUCHÈRE :
- Non, Docteur.
Cette fois, c’est moi qui ai vraiment besoin de vous !
Vous devez tenter de comprendre ce qui m’arrive : c’est un bouleversement merveilleux de mon existence.
Je vous ai toujours fait confiance.
Aidez-moi !
Docteur NOLY :
- J’entends. J’entends.
Certes, il peut nous arriver, dans certaines circonstances précises, des transformations, des maladies, des pertes de sens, que la science explique et restaure toujours.
Vos cauchemars sont certainement liés à une surcharge de responsabilités…
Professeur BLUCHÈRE :
- S’il vous plaît.
Essayez au moins de m’écouter.
C’est aussi pour cela que je vous paie !
Alors, oui, il me faut, me doit enfin de vous l’exprimer : j’ai par ces rêves répétés, pris conscience que je suis moi-même Hors Normalités…
Docteur NOLY :
- Il vous est poussé un troisième sein ?
Professeur BLUCHÈRE :
- C’est vrai.
Que je suis stupide… Vous ne pouvez pas comprendre !
Docteur NOLY :
- Pardonnez-moi cet humour déplacé.
Oubliez : c’était une tentative vaine et ridicule d’échapper à une réalité angoissante…
Finalement, vous me vexez davantage que vous ne m’inquiétez !
Cela ne m’amuse plus du tout.
Revenez, je vous en prie, à la raison.
Nos supérieurs seraient furieux d’entendre de tels propos.
Dites-moi ce que vous avez consommé sans modération…
Professeur BLUCHÈRE :
- Docteur, la situation a changé.
Ma conscience n’est pas altérée.
Je sais juste maintenant que je ne suis pas, que je n’ai jamais été “binaire”…
Docteur NOLY :
- Nous sommes tous binaires !
Professeur BLUCHÈRE :
- Oui et non.
Tous les êtres sont binaires, dans la normalité.
Et puis il y aurait les autres : on leur fait croire, on les persuade… c’est un vrai massacre… Mais les binaires ne sont pas responsables de cette destruction car ils n’ont pas conscience de notre existence.
Ils sont donc juste coupables !
Docteur NOLY :
- Coupables ?
Pourquoi, s’ils ne savent pas ?
C’est comme si vous accusiez quelqu’un d’être maladroit !
Professeur BLUCHÈRE :
- Oui.
La maladresse est souvent plus destructrice et moins excusable que la colère.
Il est possible parfois de raisonner, même de comprendre et aussi de trouver des circonstances atténuantes à un être en guerre… sans pour autant être en accord avec ses actes, encore moins l’admirer !
Alors qu’une personne, non soucieuse de s’instruire ou d’apprendre, vivant dans une ignorance crasse, peut être l’auteur de catastrophes que je ne pardonnerai pas nécessairement.
Avec cette étude, je pense que les êtres Hors Normalités se différencient notamment des binaires, par une fragilité certaine.
Aux yeux des rationnels, rarement vivants, parfois survivants, souvent “sous-vivants” il y a impossibilité de concevoir que des êtres peuvent être “multi-possibilités”, ou mieux : “pluri-possibilités”.
Docteur NOLY :
- Des individus dont la pensée serait “autre”, donc non rationnelle ?
Professeur BLUCHÈRE :
- Où tout chez eux, pourrait ne pas être rationnel !
Le corps, aussi, le cœur, comme la gestion et la compréhension de l’espace et du temps… bien loin de nos propres notions préétablies par nos chercheurs dont je suis, dont j’étais…
Docteur NOLY :
- Folie…
Folie !
De telles réflexions sont l’ébauche d’un programme de fin du monde.
Je devrais vous contraindre à rejeter de votre esprit cette aberration…
Il me faudrait naturellement vous dénoncer à nos pairs… Cependant au lieu de cela, il n’y a plus de colère… pas même de déception : me voici juste bouleversé.
Vous remuez maintenant, au plus fort de mon être, des mécanismes semblant enfouis depuis toujours.
Professeur BLUCHÈRE :
- Vous voulez dire que…
Docteur NOLY :
- Oui, Professeur.
Oui.
C’est probablement exact !
C’est certainement vraisemblable…
J’ai maintenant, grâce à vos propos, la conscience de vos convictions : qu’il est en ce monde et certainement ailleurs, des êtres Hors Normalités, dont nous sommes…
Professeur BLUCHÈRE :
- J’en étais convaincue depuis toujours sans oser vous en parler
Merci Docteur. Merci infiniment !
C’est, je crois, pour cela que j’ai réussi depuis déjà quelques cycles, à prendre rendez-vous dans votre bureau.
J’avais à juste titre confiance en vous sans savoir exactement l’importance de ma démarche, et tout en mesurant cependant le danger.
Rien ne nous confond nécessairement.
Pas de signes, d’idées, de marques ou de pensées communes !
Les êtres, comme nous, ont pour unité le fait de ne pas en avoir : de pouvoir se trouver en dehors d’un système, d’une idée… d’une norme !
Docteur NOLY :
- Bien entendu…
C’était là que je plaçais en secret les personnes qui n’entraient pas dans les grilles et les cases présupposées de nos civilisations.
Mon bureau s’ouvrait de plus en plus pour les rencontrer, tout en pleurant sur ma solitude !
Je situais ces êtres comme des questions en attente, dans l’espoir de pouvoir un jour les réunir, sans percevoir finalement le lien que vous m’offrez aujourd’hui. Trouver enfin celle ou celui qui me ressemblerait par cette unicité !
Aussi, je me plaçais en danger par cette disposition qui n’était pas conforme aux règles de ma profession !
Mon excuse était que chacun de ces individus avait une case propre, attendant d’être rejoint par un similaire, dans la logique de notre système…
Professeur BLUCHÈRE :
- Nous ne nous sommes pas connus par hasard.
Nous méritons chacune de nos rencontres.
Je suis convaincu que ce qui nous permet l’effort et l’audace de la rencontre est lié à un de ces rares points qui sauraient nous rapprocher : le fait de penser différemment, de songer autrement !
Je comprends maintenant que notre manière de saisir l’autre, nous révèle et rend notre état moins fragile face à un isolement insupportable.
Docteur NOLY :
- Tout à fait, car cela nous offre une certaine volonté qui ne semble pas exister chez l’être binaire.
Nous agissons davantage en quête du plaisir, libres de tout désir ; eux sont le plus souvent prisonniers d’une autorité recherchée ou imposée.
Ils sont mus par envies, contraintes, peurs, qui les lient de fait à la violence, dans l’angoisse d’une notion préétablie de bien et de mal, ou l’obsession d’une récompense.
Chez nous, la recherche parfois désespérante de notre existence, se situe dans la soif d’apprendre : tout est donc possible !
Sentir, ressentir, aimer, vibrer… tout saurait donner à l’autre une possibilité d’être en dehors de la norme.
Professeur BLUCHÈRE :
- Splendide !
Je me découvre enfin une raison de vivre : aller à la recherche, à travers l’univers, d’êtres qui ne sont pas de ces moutons d’un troupeau.
Docteur NOLY :
- Attention !
Ne méprisez personne.
Les races se perpétuent grâce à eux. Nous sommes trop complexes ou trop blessés pour parfois penser aux civilisations que nous traversons.
C’est aussi par la norme que naissent les hors normes !
Professeur BLUCHÈRE :
- Merci. Vous avez raison d’insister sur ce fait.
Se croire supérieurs nous laisse entrer de nouveau dans un système et massacre en nous les forces qui nous construisent !
Docteur NOLY :
- Nous ne gérons pas nécessairement l’énergie qui nous anime. Il faut vous en souvenir, et je dois vous le rappeler de nouveau : comme les notions de bien et de mal ne nous appartiennent pas, nous sommes libres de construire ou de détruire, sans saisir parfois la souffrance des mondes que nous croisons !
Professeur BLUCHÈRE :
- C’est vrai : le cri de la poire que l’on croque est peut-être aussi réel que la souffrance du mouton conduit à l’abattoir, ou la colère de l’embryon avorté…
Docteur NOLY :
- Notre Hors Normalités devrait nous inviter à toujours plus d’attention, de sensibilité, plutôt qu'à poursuivre des vengeances injustes ou de vaines missions.
Professeur BLUCHÈRE :
- C’est aussi cependant notre droit de rechercher le sens d’une existence propre en considérant qu’une cause sans principe logique ou réaliste peut être la nôtre !
Ce n’est pas parce que quelques rêves sont impensables en ce monde qu’ils nous en seraient interdit à la quête !
Docteur NOLY :
- En effet, face à une action semblant irréalisable aux yeux de certains, il est peut-être juste pour nous de commencer à l’entreprendre…
Nous ne savons toujours pas, malgré toutes vos recherches et celles de vos savants, où nous sommes et depuis quand le temps gère notre espace !
Cet univers, dans lequel nos planètes se meuvent, est où… et dans quoi… sans même poser la question du pourquoi ou du comment.
Il y a réellement quelque chose d’absurde dans notre vie. Je pourrais y mettre un terme, si je n’avais, pour espoir, quelques plaisirs à la rencontre…
J’ai toujours essayé de saisir ma peur pour m’assurer d’aller au-delà de cette peur afin de jouer une vie !
Professeur BLUCHÈRE :
- C’est le lot de notre illusion de la réalité.
Comprendre nos peurs pour ne plus en avoir peur, par la recherche généalogique de ses origines.
Jour après jour, des êtres poursuivent l’idée de non-être. Ils donnent naissance à une progéniture qui prendra sens à travers une souffrance liée à cette peur notamment de la peur de la mort… sans imaginer qu’ils ne vivent peut-être pas !
Docteur NOLY :
- Nous avons alors un pouvoir terrible !
Professeur BLUCHÈRE :
- Hélas…
Docteur NOLY :
- C’est merveilleux cependant, si nous osons éveiller la vie à cette absurdité de penser, aux yeux des binaires, que nous n’avons pas de réalité.
Professeur BLUCHÈRE :
- Expliquez-moi !
Docteur NOLY :
- Au-delà de la procréation, il y aurait la création : jaillissement du néant de notre propre être, dans le néant de cet univers…
Du néant au néant : voilà notre existence !
Nous pourrions à chaque instant donner naissance et connaissance : la recherche absurde et inutile du beau selon les normes établies de cette sensibilité non comestible.
Voilà donc un plaisir réservé à l’individu qui prend enfin conscience que demain n’est pas, comme le mensonge traduit par hier.
Nous pouvons vivre ainsi hors “espace-temps”.
Professeur BLUCHÈRE :
- C’est pour cela que cette pensée se limitait au droit des dieux…
Docteur NOLY :
- Nous sommes alors dans un jeu extrêmement dangereux pour les mondes où nous passons…
Prendre conscience de n’avoir ni dieux ni maîtres inquiéterait les instances dirigeantes, persuadées d’être tôt ou tard remplacées par nous !
Professeur BLUCHÈRE :
- Oh que non !
Que faire d’un pouvoir illusoire… Je préfère ma liberté vagabonde à la chaîne dorée d’une responsabilité contraignante !
D’ailleurs, je n’en peux plus de ce poste au Centre. Je vais donner ma démission pour consacrer mon temps aux plaisirs de la rencontre et de la recherche !
* * *
[Arrivée des binaires]
Monsieur FROUT :
- Désolé d’interrompre votre dialogue. Nous ne pouvons lui donner suite…
Madame HEILIME :
- Il en est de même pour votre charge au sein du Centre.
Professeur BLUCHÈRE :
- Ah… Nous étions sous écoute…
Docteur NOLY :
- Désespérant !
Quoique !
Je rends donc moi aussi ma carte de Psychiatre officiel !
Madame HEILIME :
- La raison semble vous revenir par instants.
Monsieur FROUT :
- Avec tristesse, nous perdons deux éléments précieux pour notre société.
La raison en est cet écart de pensée dont nous allons devoir au plus vite déterminer la cause.
Madame HEILIME :
- La découverte de vos divagations implique une rigueur plus grande quant à la gestion de la liberté de chaque être.
Professeur BLUCHÈRE :
- Laissez-moi juste vous expliquer une réalité dont je n’ai pas encore pu faire part.
Madame HEILIME :
- Impossible.
Les ordres sont formels.
Monsieur FROUT :
- Les inviter à se taire est officiel, cependant nous n’avons pas reçu l’obligation de les empêcher de dévoiler une information, peut-être utile, pour mieux comprendre leur déviance…
Madame HEILIME :
- Attention de ne pas nous trouver en faute vis-à-vis des autorités…
Docteur NOLY :
- Le professeur Bluchère n’a jamais été contre les lois…
Professeur BLUCHÈRE :
- Entendez-moi donc une dernière fois, s’il vous plaît, c’est peut-être vital pour le sens de l’avenir !
C’est aussi lié aux fruits de mes recherches dans la mission qui m’était allouée.
Monsieur FROUT :
- J’accorde donc un temps pour vous justifier.
Madame HEILIME :
- Sous ma surveillance.
Professeur BLUCHÈRE :
- Bien.
Je pense qu’il y a des systèmes solaires présents dans certains micro-espaces, au cœur même, peut-être de certaines molécules essentielles !
Docteur NOLY :
- Oui ! Bien entendu, c’est vrai !
J’aurai dû y songer bien avant…
Vous voulez bien dire que… par exemple…
Madame HEILIME :
- … Qu’il nous faudrait croire que même dans un atome d'hydrogène nous puissions trouver la vie ?
Nous allons peut-être sagement mettre un terme à vos divagations.
Monsieur FROUT :
- Il est vrai que je ne vous suis plus.
Professeur BLUCHÈRE :
- Si.
Écoutez encore un dernier instant : notre matière primaire comporte une quantité significative d'hydrogène, que nous considérons comme quasi impropre et secondaire… eh bien je pense en effet, que chacune de ces molécules serait potentiellement viable. Imaginez alors qu'il y ait dans cette pièce, dans ces quelques retrisxes, au sein de ces atomes d'hydrogène, un univers où se trouve une réalité de vie.
Docteur NOLY :
- Diantre !
Professeur BLUCHÈRE :
- Et oui, difficile à croire.
Vous comprenez pourquoi je suis malade à penser cela ?
Monsieur FROUT :
- Absolument.
Si le Centre retenait un jour votre hypothèse, il faudrait relever chaque planète viable de chaque univers de chaque molécule d'hydrogène… Cela créerait des comités pour protéger la vie dans ces espaces : des manifestations, des grèves, des associations de tout genre pour obliger le peuple à ne plus consommer l'hydrogène au risque de détruire des vies !
Déjà que tous les animaux et beaucoup de plantes sont maintenant protégés, comment trouver alors de nouvelles sources d'énergie…
Madame HEILIME :
- …Cela m'affole !
Oublions tout cela.
Voulez-vous réellement déstabiliser notre société par ces propos aberrants ?
Monsieur FROUT :
- Allons, chère Madame, oubliez ces mauvaises pensées et offrez-vous quelques jours de repos.
Reprenez raison, nous avons besoin de vous.
Il ne peut pas y avoir de vie au cœur d'un atome d'hydrogène.
Vous devez, pour le bien de notre société, oublier ce rêve, que dis-je, ce cauchemar.
Professeur BLUCHÈRE :
- Mais Monsieur Frout, si…
Madame HEILIME :
- …Suffit.
Non !
Soyons sérieux : regardez…
Qu'est-ce que cela signifierait si dans ce retrisxe constitué en grande partie de cet hydrogène qui nous offre un confort réel, il y avait des êtres vivants ?
Imaginez votre idée folle : il y aurait donc, par déduction, des espaces dans chaque atome… Des milliards de milliards de milliards de systèmes…
Ridicule !
Professeur BLUCHÈRE :
- Mais pourtant elle…
Monsieur FROUT :
- …Allons, de toutes les manières comparez les dimensions : comment communiquer avec eux…
Docteur NOLY :
- Alors, vous ne rejetez pas son hypothèse… Vous êtes comme nous ?
Monsieur FROUT :
- …Non… Non…
Madame HEILIME :
- …Hum…
…Et à quoi bon parler de tout cela pour nous mettre en danger face à l’autorité ?
Même si cette découverte s’avérait probable, même si la vie était dans l'hydrogène, la supériorité de notre société ne donnerait à nos supérieurs aucune raison logique à poursuivre une quelconque recherche.
Monsieur FROUT :
- …Ah, ah…
…Et oui !
Ces petits, ces micro-êtres, pourquoi les rencontrer !
Si ce n'était afin de les exploiter ?
Notre monde est basé uniquement sur la consommation volontaire ou imposée… Ce qui n’est pas rentable est hélas rejeté voire exclu.
Madame HEILIME :
- …Nous avons su cependant épargner les animaux…
Professeur BLUCHÈRE :
- Et nous allons laisser notre société détruire des mondes inconnus ?
Madame HEILIME :
- …On nous a bien enseigné que ce qui est inconnu n’existe pas.
Pouvez-vous croire un instant qu'en mettant le feu à ce retrisxe, afin de renouveler l'atmosphère de la pièce, je supprime une existence quelconque ?
Non, je vous redonne vie, je vous régénère !
Allez, oublions.
Venez vous réchauffer le cœur…
(...)
- Désolé d’interrompre votre dialogue. Nous ne pouvons lui donner suite…
Madame HEILIME :
- Il en est de même pour votre charge au sein du Centre.
Professeur BLUCHÈRE :
- Ah… Nous étions sous écoute…
Docteur NOLY :
- Désespérant !
Quoique !
Je rends donc moi aussi ma carte de Psychiatre officiel !
Madame HEILIME :
- La raison semble vous revenir par instants.
Monsieur FROUT :
- Avec tristesse, nous perdons deux éléments précieux pour notre société.
La raison en est cet écart de pensée dont nous allons devoir au plus vite déterminer la cause.
Madame HEILIME :
- La découverte de vos divagations implique une rigueur plus grande quant à la gestion de la liberté de chaque être.
Professeur BLUCHÈRE :
- Laissez-moi juste vous expliquer une réalité dont je n’ai pas encore pu faire part.
Madame HEILIME :
- Impossible.
Les ordres sont formels.
Monsieur FROUT :
- Les inviter à se taire est officiel, cependant nous n’avons pas reçu l’obligation de les empêcher de dévoiler une information, peut-être utile, pour mieux comprendre leur déviance…
Madame HEILIME :
- Attention de ne pas nous trouver en faute vis-à-vis des autorités…
Docteur NOLY :
- Le professeur Bluchère n’a jamais été contre les lois…
Professeur BLUCHÈRE :
- Entendez-moi donc une dernière fois, s’il vous plaît, c’est peut-être vital pour le sens de l’avenir !
C’est aussi lié aux fruits de mes recherches dans la mission qui m’était allouée.
Monsieur FROUT :
- J’accorde donc un temps pour vous justifier.
Madame HEILIME :
- Sous ma surveillance.
Professeur BLUCHÈRE :
- Bien.
Je pense qu’il y a des systèmes solaires présents dans certains micro-espaces, au cœur même, peut-être de certaines molécules essentielles !
Docteur NOLY :
- Oui ! Bien entendu, c’est vrai !
J’aurai dû y songer bien avant…
Vous voulez bien dire que… par exemple…
Madame HEILIME :
- … Qu’il nous faudrait croire que même dans un atome d'hydrogène nous puissions trouver la vie ?
Nous allons peut-être sagement mettre un terme à vos divagations.
Monsieur FROUT :
- Il est vrai que je ne vous suis plus.
Professeur BLUCHÈRE :
- Si.
Écoutez encore un dernier instant : notre matière primaire comporte une quantité significative d'hydrogène, que nous considérons comme quasi impropre et secondaire… eh bien je pense en effet, que chacune de ces molécules serait potentiellement viable. Imaginez alors qu'il y ait dans cette pièce, dans ces quelques retrisxes, au sein de ces atomes d'hydrogène, un univers où se trouve une réalité de vie.
Docteur NOLY :
- Diantre !
Professeur BLUCHÈRE :
- Et oui, difficile à croire.
Vous comprenez pourquoi je suis malade à penser cela ?
Monsieur FROUT :
- Absolument.
Si le Centre retenait un jour votre hypothèse, il faudrait relever chaque planète viable de chaque univers de chaque molécule d'hydrogène… Cela créerait des comités pour protéger la vie dans ces espaces : des manifestations, des grèves, des associations de tout genre pour obliger le peuple à ne plus consommer l'hydrogène au risque de détruire des vies !
Déjà que tous les animaux et beaucoup de plantes sont maintenant protégés, comment trouver alors de nouvelles sources d'énergie…
Madame HEILIME :
- …Cela m'affole !
Oublions tout cela.
Voulez-vous réellement déstabiliser notre société par ces propos aberrants ?
Monsieur FROUT :
- Allons, chère Madame, oubliez ces mauvaises pensées et offrez-vous quelques jours de repos.
Reprenez raison, nous avons besoin de vous.
Il ne peut pas y avoir de vie au cœur d'un atome d'hydrogène.
Vous devez, pour le bien de notre société, oublier ce rêve, que dis-je, ce cauchemar.
Professeur BLUCHÈRE :
- Mais Monsieur Frout, si…
Madame HEILIME :
- …Suffit.
Non !
Soyons sérieux : regardez…
Qu'est-ce que cela signifierait si dans ce retrisxe constitué en grande partie de cet hydrogène qui nous offre un confort réel, il y avait des êtres vivants ?
Imaginez votre idée folle : il y aurait donc, par déduction, des espaces dans chaque atome… Des milliards de milliards de milliards de systèmes…
Ridicule !
Professeur BLUCHÈRE :
- Mais pourtant elle…
Monsieur FROUT :
- …Allons, de toutes les manières comparez les dimensions : comment communiquer avec eux…
Docteur NOLY :
- Alors, vous ne rejetez pas son hypothèse… Vous êtes comme nous ?
Monsieur FROUT :
- …Non… Non…
Madame HEILIME :
- …Hum…
…Et à quoi bon parler de tout cela pour nous mettre en danger face à l’autorité ?
Même si cette découverte s’avérait probable, même si la vie était dans l'hydrogène, la supériorité de notre société ne donnerait à nos supérieurs aucune raison logique à poursuivre une quelconque recherche.
Monsieur FROUT :
- …Ah, ah…
…Et oui !
Ces petits, ces micro-êtres, pourquoi les rencontrer !
Si ce n'était afin de les exploiter ?
Notre monde est basé uniquement sur la consommation volontaire ou imposée… Ce qui n’est pas rentable est hélas rejeté voire exclu.
Madame HEILIME :
- …Nous avons su cependant épargner les animaux…
Professeur BLUCHÈRE :
- Et nous allons laisser notre société détruire des mondes inconnus ?
Madame HEILIME :
- …On nous a bien enseigné que ce qui est inconnu n’existe pas.
Pouvez-vous croire un instant qu'en mettant le feu à ce retrisxe, afin de renouveler l'atmosphère de la pièce, je supprime une existence quelconque ?
Non, je vous redonne vie, je vous régénère !
Allez, oublions.
Venez vous réchauffer le cœur…
(...)
Et c'est ainsi encore que s’évanouit dans le néant — par le refus d’apprendre au-delà de la binaire compréhension aristotélicienne — un très grand nombre de galaxies et de systèmes solaires.
Et c'est alors que disparu — et oui… eh bien — cette toute petite planète que certains appelaient la Terre…
Et c'est alors que disparu — et oui… eh bien — cette toute petite planète que certains appelaient la Terre…
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Auteur : Yves Philippe de Francqueville